La Grand' Anse (Jérémie)de Rosny Saint-Louis| JobPaw.com

La Grand' Anse (Jérémie)


La GRAND’ANSE: Reconstruire un nouvel ordre de valeurs
Rosny A. Saint-Louis*
L’image de la Grand’Anse, durant ces 20 dernières années, est souvent associée à l’éloignement, à un passé douloureux ponctué d’évènements sinistres et révoltants tels:
• le naufrage du bateau Neptune en février 1993 où périrent plus de 1 500 à 2 000 personnes,
• les deux (2) grands incendies du 10 décembre 1999 et du 9 décembre 2008 qui , respectivement, ont ravagé les zones commerciales de la haute et de la basse-ville,
• les luttes politiques intestines menées tambour battant par la Corega, Fanmi Lavalas et d’autres Organisations Populaires(OP),
• les accidents de la route qui coûtèrent la vie aux centaines de passagers,
Comme un peu partout à travers le pays, viennent s’ajouter en plus à ce tableau, l’insalubrité, la corruption, l’incohérence, et le désordre institutionnalisé, le déchoucage, l’incompétence, et surtout à l’irresponsabilité citoyenne et politique.
Devant ce constat accablant, la société grandanselaise et toutes les institutions concernées, doivent conjuguer leurs efforts pour qu’ensemble, nous arrivions à effacer ces images récurrentes.
Pour y arriver, il faut que nous reconstruisions un nouvel ordre de penser fondé sur des valeurs certaines comme: la compétence, l’honnêteté, l’Education et surtout la moralité politique. NON au misérabilisme socio-humain grandanselais. Non au militantisme desséchant et avilissant.
La voix de la Grand’Anse intérieure, mais également de sa diapora, est primordiale en vue de lutter contre le prisme avilissant et réducteur de certaines images figées qui renvoient aux échecs et au fiasco.

A. La Grand’Anse: Un trésor mal exploité
Aujourd’hui encore, la Grand’Anse terre acceuillante et hospitalière, est bafouée et humiliée. Considérée et vue comme le “pays en dehors ” , la Grand’Anse est pourtant un magnifique département qui offre un potentiel touristique énorme avec ses belles et nombreuses plages (Anze d’Azur, Anse du Clerc, Anse Blanche, Dame-marie, Bonbon, Abricots , Irois ...etc), ses grottes, ses forts, ses ressources hydriques et vivrières, ses resources fruitières et sa forte potentialité pour la pêche, pour la production de denrées d’exploitation comme le café et le cacao, et surtout sa belle jeunesse intelligente et ambitieuse. C’est une région contrastée, où se mélangent pauvreté et richesse, désuétude et modernité,force, combats, tristesse et joie de vivre. Sa population, (plus de 700.000 habitants hier) estimée aujourd’hui à plus de 466.000 habitants, suite au redécoupage topographique du département en deux, (la Grand’Anse et les Nipppes) voit constamment ses droits bafoués et foulés aux pieds. On fait souvent comme si c’est un peuple qui n’existe pas. Pourtant, quand les élections sont proches, des canditats en mal de pouvoir, viennent mentir et offrir monts et merveilles à ce peuple naïf et bon enfant dont les besoins sont criants. Un exemple simple, Regardons comment ils s’entre-déchirent à Jérémie pour le poste de sénateur à pourvoir.
En effet, depuis l’arrivée de cette nouvelle équipe gouvernementale au pouvoir en 2006, il semble que, de nombreux projets sont à l’ordre du jour. Des routes et des centrales thermiques vont être construites par-ci. Des universités publiques et des logements sociaux, par-là. Mensonges ou Vérités. Qui sait? Malgré tout, le nom de la Grand’Anse n’a pas été retenu voire intercalé dans la liste des départements prioritaires si ce n’est que récemment sous la pression de la population grandanselaise que le gouvernement s’est enfin décidé à tirer du tiroir de l’oubli le projet de construction de la route de Jérémie. Une initiative que le peuple de la Grand’Anse félicite de tout coeur.

B. Pas de Route : Lueur d’espoir pour Juillet quand même.
Pas de route, si ce n’est que le tracé colonial aux pentes raides, étroites, escarpées et dangereuses qui relie la Grand’ Anse au Département du Sud. Dès notre plus tendre enfance jusqu’à notre age adulte,c’est à-dire, de Jean Claude Duvalier à Jean Bertrand Aristide, nous avons souvent entendu dire que la route de Jérémie va être construite et que l’argent (lajan k pa rete ak lajan, lajan ki pran tan pou konte l) est déjà déposé dans les banques. Et aujourd’hui encore, sous le gouvernement de Préval, nous entendons les mêmes refrains, sauf qu’ils sont chantés sous un air différent. Cependant, Il apparait, selon tous les signaux visiblement lancés de nos jours, que cette route ( La nationale # 7) va être définitivement construite. Le coup d’envoi est prévu pour Juillet de 2009 et durera 30 mois ou 2 ans et 6 mois. Financée par le Canada, la BID et l’Etat Haitien, la construction sera l’oeuvre d’une firme brésilienne ( Constructora OAS Ltpa) qui, aussi, aura pour tâche de jeter un pont sur la “Rivière Glace”, voisine de “Fan m Pa Dra” et de “Trou Kannary”.
Indiscutablement, la construction de cette route sera doublement bénéfique pour la Grand’Anse à l’heure où un billet d’avion aller-retour coûte $ US 185 à 200 pour une petite traversée de 45 minutes. A noter que certains employés de l’Etat ne gagnent même pas ce montant par mois. Aussi, elle permettra, qu’on le veuille ou non, une dimunition du taux de fréquence des accidents souvent mortels, survenus surtout en périodes pluvieuses. Nous espérons que les autorités tiennent parole cette fois-ci, et que cette promesse ne soit point fallacieuse comme ce fut le cas dans le temps avec les gouvernement antérieurs. Que le peuple de la Grand’Anse reste en alerte et se réveille au moindre manquement pour défendre ses droits. Caveant consules ne quid detrimenti Respublica capiat

C. Jérémie: Une Justice néantisée
Aujoud’hui, il est triste de constater comment la Justice à Jérémie, grande et fière dans le temps, fait l’objet d’un phénomène de rejet et de critiques acerbes. Tout le monde s’en prend à elle. Du commun des mortels jusqu’aux intellectuels les plus avisés. N’ont-ils pourtant pas raison? Les reproches sont variées et diverses: corruption des Magistrats, absence d’indépendance, Justice deux poids, deux mesures et Justice partiale dans la protection des droits. Que devient une société si sa justice est décriée et humiliée? Que vaut la Justice si des Magistrats sont ,tout bonnement, récusés pa la société?
Triste constat. Accablant échec. Du Capitole à la Roche Tarpéienne, la route n’est si long!
1. dysfonctionnement et laideur :
Si pour Aimé Césaire, “la justice écoute aux portes de la beauté”, à Jérémie, malheureusement, elle est vue et saluée aux portes de la laideur, de la léthargie et du dysfonctionnement total. Tout le monde s’inquiète: les justiciables, le barreau, les étudiants de l’Ecole de Droit, en somme, toute la société grandanselaise.
Depuis le départ pour la MINUSTAH de Me Johel Dominique qui fut l’un des juges d’instruction les plus honnêtes, les plus irréprochables et les plus compétents de Jérémie; le Cabinet d’Instruction repose, depuis des temps, sur les épaules d’un seul juge: Me Frantz Drice, homme sérieux et compétent qui ne transige pas sur les principes.
Le même scénario se retrouve aussi au Parquet. En fait, depuis le délogement, par le Ministre de la Justice Me Jean Joseph Exumé, de deux (2) magistrats pour “corruption”, “lègèretè” et “faute administrative grave”, le Parquet de jérémie est, depuis jadis, administré par un seul substitut, Me Gary Lundi qui se retrouve non seulement comme un chien dans un jeu de quilles mais se morfond de plus dans une véritable situation de canard boiteux.
A Jérémie, Thémis est en grand danger. Danger de mort même. Elle vient de perdre son bandereau, symbole d’impartialité, d’objectivité et d’indépendance. On lui a volé son glaive à double tranchant, symbole de son aspect répressif, de l’application de la peine et de son pouvoir à trancher, indépendamment de l’identité, les litiges qui opposent les justiciables. On lui
a trafiqué sa balance, symbole de son principe de contradiction juridique où elle soupèse les forces de soutien ou d’opposition dans une affaire.


2. recrutement:
Une bonne et saine justice, à notre humble avis, ne peut être administrée que si elle est rendue par des juges ne croulant pas sous le nombre des cas, auxquels ils ne peuvent donner toute l’attention requise. Et donné qu’à Jérémie, les violations de la Loi et du Droit sont malheureusement en hausse comme dans tout le pays et que nombre de Juges et Officiers du Parquet ont été limogés pour corruption; il était “pressant” et “urgent” d’organiser un “concours” pour les remplacer. Aujourd’hui encore, les résultats de ce “concours national”, malheureusement, organisé “ à la va vite” depuis des mois, tardent toujours à être connus. Pour quelle raison?
Fallait-il, cependant, organiser un concours pour remplacer les Juges et les Membres du Parquet au niveau des tribunaux de Première Instance? OUI, si la loi le dit puisque nous sommes en Droit. NON, si la loi ne le dit pas puisque nous sommes toujours en Droit. La Loi et le Droit ne supposent pas: ils dictent. Sans prétendre pourtant connaitre la Loi et le Droit mieux que quiconque, voyons ce que dit l’article 13 du Décret du 22 Août 1995 relatif à l’Organisation Judiciaire dans le pays. Cet article stipule: “ Pour être juge dans les tribunaux de Première Instance et membres du Parquet de ces tribunaux, il faut être diplômé de l’Ecole de la Magistrature ou avoir exercé la profession d’avocat pendant 3 ans au moins ”
Cependant, “réussir un test d’évaluation” est légal et nécessaire pour être admis à la Justice de Paix. Que dit l’art 12 du même décret: “ Pour être Juge ou Juge Suppléant d’une Juctice de Paix de 1ere ou 2eme classe, il faut être licencié en droit et avoir réussi un test d’évaluation du Ministère de la Justice ou bien être diplômé de l’Ecole de la Magistrature; pour être Juge suppléant de 3eme classe, il faut être au moins bachelier en droit et avoir milité devant une justice de paix; pour être Juge ou Juge Suppléant de 4eme classe, il faut avoir occupé, pendant 3 ans au moins, la fonction de greffier à un tribunal de Paix. Dans ce cas, le postulant devra réussir le test d’évalutaion du Ministère de la Justice ”

3. impartialité :
Depuis quelques années déjà, la question de l’impartialité de certains magistrats à Jérémie est vue comme l’une des principales plaies qui entâche le principe d’impartialité, principe cher à Montesquieu décrit dans son maitre ouvrage De L’Esprit des Lois , cher à la Constitution haitienne de 1987 et cher aussi aux traités internationaux relatifs aux Droits de l’Homme de l’ONU.
Si pour certains observateurs, la justice à Jérémie est inutile à cause de son manque de moyens de fonctionnement, pour d’autres, bien au contraire, le comportement “reprochable” de certains magistrats est à l’origine de cette inutilité. Des accusations de corruption, d’insuffisance d’indépendance de certains magistrats, mais surtout, l’absence d’éthique et de déontologie dans le traitement de certains dossiers brulant de la ville. On parle même parfois à Jérémie, de “magistrats acquis” d’avance à la cause de certaines familles et de certains clans.
Il faut aussi souligner le problème de l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs de l’argent et des besoins quotidiens. Le magistrat est avant tout, un être humain, capable de se plier aux tentations surtout quand la raison fléchit. C’est justement pour cela que l’Etat doit leur garantir un traitement (comparable et même supérieur à celui octroyé aux autres pouvoirs) qui puisse les mettre à l’abri de toute influence extérieur surtout vis-à-vis des partis politiques et des organisations populaires qui, à tort, pensent que la justice leur est éternellement redevable.
De plus, une bonne justice ne peut être exercéee que si elle est rendue par un magistrat compétent et sérieux. Non pas par un maitre “aliboron”. Si la compétence d’un magistrat est mis en doute, ses jugements probablement le seront aussi. “D’un magistrat ignorant disait La Fontaine, dans L’Ane portant des Reliques, c’est la robe qu’on salue”. D’ailleurs, si le Ministère de la Justice veut que la longue robe noire couvre un magistrat de respect, il doit être sûr que le magistrat possède la connaissance de son art, et que son choix ne soit pas motivé par les circonstances politiques (Appels des Sénateurs et Députés, Pressions de Ops, etc) mais plutôt par une analyse minutieuse du dossier déposé à la Direction des Affaires Judiciaires ou bien par la consultation officielle du Doyen du tribunal qui est supposé être la plus haute autorité de référence , en matière de nomination d’un nouveau magistrat. Mais en Haiti, puisqu’on est toujours au stade où il faut inventer la roue, les choses se font autrement et differemment.

D. Réécrire l’histoire de la Grand’Anse
Pour réécrire cette histoire, il nous faut inventer un nouveau futur en faisant table rase du passé. Un passé, bien entendu, qui ne sera pas oublié mais pardonné, à la manière de Mandela. Face à l’avenir, nous sommes contraints à un devoir de solidarité citoyenne. “ Soyons solidaires comme les grains de l’épi de mais, forts comme le baobab , courageux comme le lion” enseigne Ségolène Royale , dans son fameux discours de Dakar en 2007.
Pour arriver à ce coude-à-coude fraternel, il faut accepter de sacrifier les intérêts individualistes mesquins et sans grandeur au profit d’un collectivisme novateur et durable. De ce fait, il n’y aura plus de Corega, plus de Fanmi Lavalas, plus d’OP, mais un seul et vrai parti : Le Parti de la Grand’Anse unifiée pour le développement (Pagaud). Après plusieurs décennies de luttes fratricides, il est temps de regarder l’avenir en face et d’entamer de rééls débats sur le demain de la Grand’Anse. La politique menée à Jérémie depuis bien des lustres est incompréhensible et sclérosée. Elle est souvent réduite à servir d’outil d’ascension personnelle à un caste, et peine à devenir une véritable force politique engagée à construire avec tous , au jour le jour, la Grand’Anse que nous voulons.

C’est à nos laideurs même que nous devons nous affronter. Le défi à relever est d’accepter que l’unité naisse et grandisse de la diversité. Les problèmes de notre Grand’Anse sont nombreux. On peut citer parmi les plus importants, l’abime qui se creuse de plus en plus entre les classes politiques, si classe politique il y en a. Le nombre, de plus en plus important, de chomeurs parmi les jeunes, la misère, la carence en soin de santé. L’Hopital Saint-Antoine, le seul centre hospitalier de Jérémie est désuet , dysfonctionnel et dépouvu de tout. Le courant électrique, bien qu’ arrivé par compte-gouttes, existe quand même depuis l’arrivée du nouveau directeur de l’EDH, Mr Caleb Verdieu, qui fait des efforts en ce sens en vue d’une certaine amélioration. L’eau potable? Quel mystère! La Téléco est quasi-inexistante puisque les téléphones fixes qui sont présumés être une source de revenus pour l’Etat ne fonctionnent presque plus. C’est une compagnie qui s’estompe ,de plus en plus, jusqu’a l’effacement final. Les rues de la ville sont défoncées, sales, avec des trous béants qui représentent un grand et imminent danger pour les passants.Tout le monde s’en moque et accepte de fait cette situation. Quel peuple molasse, naif et bon enfant qu’est le peuple de la Grand’Anse! Mr Christin Joassaint et Dr Ronald Etienne, respectivement, Délégué et Maire de la ville, animés probablement de bonne volonté et de grandes intentions, mais impuissants, incapables ou nonchalants comme leur ville, admirent en spectateurs cette situation qui ne leur fait pas honneur . Définitivement, la Grand’Anse et sa fille aimée Jérémie , trésors touristiques inestimables, sont de véritables cavernes d’Ali Baba qu’il faudra exploiter à bon escient.

Saint-Louis A. Rosny
Ma. DIDH , Av.
Jérémie-Grand’Anse (Haiti)
Email: stlouisrosny@yahoo.com
Mai 2009

















Bibliographie

1. Wargny Christophe, A Jérémie si loin de Port-au-Prince, in Le Monde Diplomatique, Octobre 1997

2. Wargny Christophe, Haiti ce pays en dehors, in Le Monde Diplomatique, Aout 1989

3. Balmir Ary, Jérémie ma ville, (En remuant les cendres du passé), in Le Nouvelliste, Mars 2009

4. Décret du 22 Aout 1995 relatif à l’Organisation Judiciaire

5. Cyprien L. Gary, Signature de l’accord pour la construction de la route Cayes-Jérémie, in Le Nouvelliste, 23 Avril 2009

6. Sérant C. Bernard, Haiti: Jérémie sur le vif, in Le Nouvelliste, Septembre 2006

7. www.wikipedia.org/wiki/Nippes















Rubrique: Divers
Auteur: Rosny Saint-Louis | stlouisrosny@yahoo.com
Date: 27 Juin 2009
Liste complète des mémoires et travaux de recherche