Pourquoi existe -t- il un décalage économique entre Haiti et la République Dominicaine?de Mercier Joseph PIERRE| JobPaw.com

Pourquoi existe -t- il un décalage économique entre Haiti et la République Dominicaine?


Les statistiques de 2008, dressées par la Banque mondiale et le FMI, montrent que le décalage économique est très profond entre les deux Républiques, partageant les 76 480 km2 de l’ile Hispaniola. Dorénavant, en retenant le PIB comme vecteur de comparaison, on peut faire valoir qu’au delà des coopérations sociales entre ces deux partenaires, les rapports économiques tendent plutôt vers la dépendance (voire vers la prédation) puisque l’un d’eux perd, de plus en plus, ses avantages comparatifs (Michel V. 2008 ; Carlton D. et Perloff J.1998).

En dépit des difficultés de rapprocher leurs Produits Intérieurs Bruts (le cycle fiscal haïtien est clos au 30 Septembre et celui de la République dominicaine : au 31 Décembre), nous optons simplement (i) de présenter les deux systèmes et (ii) d’identifier quatre principaux canaux ayant entrainé ce décalage économique.

Présentation des deux systèmes

Cette première partie est consacrée à une succincte présentation des deux systèmes. Pour ce faire, nous reportons quelques indicateurs macroéconomiques et nous synthétisons les comparaisons à travers des graphes voire des tableaux. Entre autres, les monnaies sont exprimées en dollars américains (sigle : USD)

a. Présentation panoramique
Le classement du Fond Monétaire International de 2008 place Haïti (9.8 millions d’habitants pour 27,750 Km2) au 131ème rang pour son PIB courant de 7.0 milliards USD et la Banque mondiale la classe au 143ème rang pour son PIB per Capita d’environ 1,300.00 USD. Entre autres, selon les données de l’IHSI (Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique), l’inflation et le taux de chômage ont été, respectivement, de 19,5% et environ 70.00% à la fin du cycle économique de 2008. En matière de bonne gouvernance, la couverture des dépenses publiques réelles par Habitant a été environ 60.00 USD à la fin de l’exercice .

Quant à la République Dominicaine (9.5 millions d’habitants pour 48,730 Km2), le PIB courant a été plutôt de 45.7 milliards USD, soit le 69ème rang selon le classement du FMI. Puis, à la fin du cycle économique de 2008, son PIB per Capita a été ramené à 6,700.00 USD (soit le 82ème rang selon le classement de la Banque mondiale). Finalement, l’inflation et le chômage ont été respectivement de 10.64 % et 56.50% sans oublier sa couverture des dépenses publique par Habitant de 746.50 USD. Ci-dessous, nous reportons quelques indicateurs clés des deux systèmes.

Indicateurs macroéconomiques et de bonne gouvernance Haïti République Dominicaine
Population (millions) 9.8 9.5
Superficie 27,750 Km2 48,730 Km2

PIB courant (en milliards de dollars américains) selon FMI 7.0 45.7
Taux de croissance 1.3% 10.9%
PIB per capita (usd) selon BM 1300.00 6,700.00

Inflation (en %) 19.5% 10.64%
Chômage (en %) 70% 56.50%

Dépenses budgétaires réelles (en millions de dollars américains) 6,952.25
Dépenses budgétaires/Habitants en USD »60.00 746.50

Taux de change officiel 1$= 39.95 Gdes 1$= 34.41Pesos

En effet, une vue synthétique du précédent tableau dit que le Produit Intérieur Brut haïtien ainsi que son PIB per capita (7.0 milliards USD et 1,300.00 USD) ne valent que 15% de ceux de la République voisine. Le décalage provient aussi du fait qu’à population quasi-égale (environ 9.5 millions habitants), la dépense budgétaire/habitants de la République voisine dépasse de 13 fois celui d’Haïti. Au reste, le taux de chômage en Haïti (70%) est en dessus de celui de son partenaire (56.50%)

b. Analyse rétro-prospective des deux systèmes (1999 à 2008)

Une bonne compréhension de ce décalage économique requiert aussi un examen rétrospectif des deux PIB sur la dernière décennie (1999 à 2008). Le graphe ci-dessous résume le profile de ces PIB sur la période sous étude.


Une analyse transversale (par la statistique descriptive) des données du précédent graphe permet de tirer trois leçons :
(i) d’abord, par l’effet volume, les valeurs ajoutées que génère l’économie dominicaine (PIB moyen annuel =29,50 milliards USD) représentent 7 fois celui d’Haïti (PIB moyen annuel » 4,38 milliards USD).
(ii) Ensuite, par l’effet taux, le PIB dominicain croît plus vite (écart type du taux annuel de croissance = 2.53%) que celui d’Haïti (écart type de croissance = 1.98%).
(iii) Finalement, par l’effet de proximité, on peut conclure qu’à long terme, les échanges entre les deux partenaires pourraient converger vers la dépendance commerciale (plutôt qu’à la coopération équitable). Toutefois, jusqu’en 2008, Haïti reste encore très dépendante de l’Économie américaine puisque son ratio de dépendance commercial (en importations et exportations) est en dessus de 75% par rapport à ce partenaire.

Entre autres, en matière de gouvernance économique, les deux économies, fortement dépendantes de l’économie américaine, semblent subir différemment les chocs externes (ex :hausse prix du baril de pétrole et des produits alimentaires). A travers les graphes ci-dessous, nous essayons de montrer la corrélation entre les cours de l’inflation et celui des changes (loi du PPA : Parité Pouvoir d’Achat) durant la dernière décennie pour ces deux systèmes



En république dominicaine, les statistiques économiques montrent que les activités de production (dynamisées surtout par 59 zones franches industrielles et commerciales), ont permis (i) une meilleure maîtrise des chocs externe (l’inflation = 10.64% en 2008) et (ii) un meilleur contrôle des activités de spéculation (1$=34.83pesos) car la demande interne excédentaire a été compensée par la production locale.

Quant à Haïti, dont la production repose sur les industries textiles (fortement concentrées à la SONAPI), l’insuffisance des productions locales et les crises politiques répétées, ont plutôt détérioré ce pouvoir d’achat (inflation = 19.50% en septembre 2008)

Au demeurant, notre préoccupation se porte, particulièrement, sur l’identification des canaux financiers qui dynamisent les deux économies. Comme nous l’avons annoncé plus haut, il importe de répondre à la question suivante ‘’pourquoi le décalage économique entre les deux systèmes ?


D’où vient le décalage économique entre les deux systèmes ?

La première partie du travail était exclusivement consacrée à un rapprochement des valeurs ajoutées, dégagées par les deux économies. Notre tentative a été de montrer, en aval, le profil qu’a adopté ces deux économies durant la dernière décennie et qui n’est pas le fruit du hasard. Il importe de faire une évaluation, cette fois-ci en amont, des deux systèmes. Nous allons identifier quatre canaux financiers (Gabage in), qui stimulent leurs activités économiques (Gabage out).

a. Les Investissements Directs Étrangers (IDE)

Selon la définition de la CNUCED, un Investissement Direct Étranger (IDE) est un investissement qui implique une relation à long terme, reflétant ainsi un intérêt durable d’une entité résidente d’un pays d’origine (l’investisseur direct) sur une entité résidente l’entreprise investie) d’un autre pays. L’IDE peut prendre plusieurs formes telles que: création à l’étranger d’une entreprise autonome ou d’une succursale, acquisition de 10% ou plus du capital social d’une entreprise existant, investissements en immobiliers, réinvestissements des bénéfices etc.

Au clair, les flux d’Investissement Direct Étranger (IDE) qui arrivent dans les deux systèmes expliquent valablement le décalage de croissance. En République Dominicaine, la moyenne des IDE a été de 1.3 milliards USD durant la dernière décennie et en 2008, ce flux a atteint 2.9 milliards de dollars USD . Paradoxalement, pour Haïti, la moyenne des IDE a été de 0.19 milliard USD pour atteindre 0.41 milliards USD en 2008 (15% des flux dominicains). Le graphe ci-dessous reporte les flux des IDE dans les deux systèmes de 1999 à 2008.


En termes de réglementation, il faut signaler que, depuis 2002, les deux États ont adopté un ensemble de mesures qui ont modifié leur cadre des affaires. D’abord, en Haïti, la législation a mis en valeur des ‘’secteurs stratégiques’’ (via le nouveau code d’investissement de 2002) et qui sont susceptibles de drainer des IDE dans le pays. Le tourisme, le textile, l’artisanat font partie de ces secteurs. La mise en place du Centre de Facilitation des Investissements (CFI) est aussi un signe de modernisation commerciale. Au reste, l’intégration d’Haïti dans le grand marché Caraïbe, par l’accord APE-UE (Accord de Partenariat Economique avec l’Union Européenne) prouve l’ouverture du pays aux Investissements étrangers. Toutefois, l’environnement des affaires en Haïti reste à construire, notamment par (i) la modification du Code du travail (ii) par la révision et/ou la modernisation du droit foncier et (iii) par le renforcement des procédures portant sur la copropriété .

Quant à la République Dominicaine, les autorités ont introduit des réformes qui ont modifié en profondeur l’environnement commercial. D’abord, sur le plan commercial, elle a adopté la nouvelle la loi 16-95 qui réglemente les flux des ‘‘IDE’’ et les transferts de fonds internationaux. En matière de négociation commerciale, entre 1998 à 2001, elle a signé nombre de Conventions avec le Canada, la France, l’Italie afin d’éviter la double taxation. Elle a aussi procédé à la signature des accords d’investissements bilatéraux avec l’Argentine, le Chili et l’Équateur. La réforme fiscale, initiée en 1993, a aussi des impacts majeurs sur les affaires.


b. Les Transferts sans contrepartie

Les Transferts Courants Nets (TCN) ont aussi stimulé les activités économiques dans les deux économies. En effet, en 2008, plus de 3,11 milliards USD été acheminé en République voisine sous la rubrique ‘’transfert familial’’. Globalement, les Transferts courants nets, incluant les transferts familiaux et les dons officiels, ont été de 3,43 milliards USD contre 1,50 milliards pour Haïti (voir graphe ci-dessous)



Selon les statistiques, sur la période allant de 1999 à 2008, les Transferts Courants Nets que reçoit la République voisine dépassent, en moyenne, de 300% ceux d’Haïti. Rappelons qu’une large proportion, venant des familles, a un effet stimulateur sur la consommation de promiscuité (commerce de gros et de détail) et développe les secteurs de distribution (Transferts). En général, les transferts familiaux sont intimement liés aux politiques migratoires et les précédents TCN montrent effectivement les modes migratoires qu’ont adopté les deux états durant les deux décennies (migration planifiées vs migration forcée ou anarchique). Les rapports de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) montrent aussi que les transferts familiaux dépendent de la localisation des migrés dans les secteurs clés des pays d’accueil (informatique, immobilier, santé etc). Une fois de plus, les données ci-dessus, reflètent la cartographie migratoire des deux états à l’extérieur (travailleurs clandestins, techniciens, informaticiens)

c. Le marché du Tourisme (inflows)

Le troisième ‘’caneau à capitaux’’ dont bénéficie les deux Républiques est le Tourisme. En effet, sur les 19.5 millions de Touristes qui visitent la Caraïbe en 2008, 4.3 millions se sont rendus en République Dominicaine pour y dépenser 4.17 milliards USD (environ 20 % des recettes totales). Pour Haïti, hormis les zones frontalières de Ouanaminthe-Dajabon-Malpasse, le total est d’environ 482 mille touristes (contre 370 mille en 2007) pour des recettes globales de 0.14 milliard USD (voir tableau ci dessous).

1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
République Dominicaine
Touristes /Millions 3,02 3,32 3,19 3,13 3,58 3,78 4,08 4,38 4,42 4,39
Recettes /Milliards USD 2,48 2,86 2,79 2,73 3,12 3,15 3,51 3,91 4,06 4,17
Haïti
Touristes /Millions 0.40 0.44 0.35 0.51 0.36 0.41 0.03 0.16 0.03 0.37
Recettes /Milliards USD NA NA NA NA NA NA NA NA 0,14 0,14


En fait, les apports de ce secteur peuvent être appréciés à plusieurs niveaux :

(i) D’abord, les dépenses touristiques élargissent les pôles de loisir, augmentent les stocks des devises et, par là, renforcent la monnaies locales. Par exemple, en 2008, les opérations d’achat et de vente (effectués par les entités financières et maisons de change) ont été d’environ : 16.9 et 20. 3 milliards USD en République Dominicaine. En Haïti, le volume de ces opérations a été, respectivement, 1.50 milliards USD en achat et 1.52 milliards USD en vente.

(ii) Ensuite, la diversité des pays d’origine (donc diversité de monnaies) favorise l’élargissement du panier monétaire local. En effet, dans l’économie voisine : le dollar américain, l’Euro, le Livre Sterling sont des monnaies à forte circulation sur le marché des changes. En Haïti, le dollar américain reste encore la principale devise étrangère.
(iii) En dernier lieu, à part son potentiel à drainer les capitaux, ce secteur pivot encourage la production locale (secteur agricole) et les industries de services (assurance, communication, finance, transport). Nous tâcherons d’aborder ce cas dans une publication ultérieure.

d. L’endettement public global

Quoique l’endettement public fasse partie du Budget Public (Section d’Investissement), le décale de croissance peut être expliqué par les investissements publics qui sont opérés par les deux partenaires. Il (décalage) peut être expliqué par les dispositifs qu’adoptent les deux états en matière de Passation de marché publics (voir le Nouvelliste # 38051 du 03/04/09 :Passation des marchés publics en Haïti : où sont les enjeux). Nous reportons ci-dessous les flux qui ont transité dans les deux Économies via les endettements publics.



Remarquez qu’en République Dominicaine, l’endettement public est passé de 3.6 à 11.22 milliards USD durant la décennie sous étude. Celui d’Haïti est passé de 1. 1.17 à 1. 85 milliards USD sur la même période.

En fait, en matière de gestion de la Dette, les dispositifs diffèrent largement entre les deux iles. Pour le Gouvernement dominicain, certaines mesures de bonne gouvernance se portent sur (i) la programmation pluriannuelle du budget, (ii) l’unification des comptes du trésor, (i) le renforcement des procédures de Passation de marché et (iii) la centralisation de la dette publique. Par ailleurs, la loi du # 6-06, créant SIGF (le Système Intégré de Gestion Financière) témoigne cette volonté de réunir, en une seule plateforme : le Crédit public + le Budget + la Comptabilité publique.

Quant au Gouvernement haïtien, les autorités ont adopté la loi du 17 mars 2006, créant l’IGF (Inspection Générale des Finances). Dorénavant, ce dispositif légal permet de’’ vérifier, assurer l’audit technique, administratif, financier et comptable à priori et à posteriori sur l’ensemble de l’Administration Publique Nationale’’ (l’article # 2 du dudit décret). Entre autre, l’adoption du SYSDEP (Système de Gestion des Dépenses Budgétaires de l’Etat) est aussi un autre mécanisme qui facilitera la saisie, en temps réel, de toutes les opérations postées par les autres institutions publiques.

En récapitulant, on retient que, durant le seul cycle économique de 2008, les dotations en capital de la République Dominicaine ont été environ 22 milliards de dollars USD contre 4 milliards pour Haïti. Au clair, elle a reçu :
(i) 7 fois plus d’Investissement Directs Etrangers qu’Haïti (2.88 milliards USD)
(ii) 3 fois plus de Transferts Courants Nets (3.43 milliards USD).
(iii) 11 fois plus de recettes touristiques (4.17 milliards USD)
Puis, ses Dettes Publique Globale (11.22 milliards USD) dépassent de 600% celles d’Haïti.



Au reste, notre principal objectif a été d’aboutir à cette dernière comparaison des flux financiers. Toutefois, le questionnement pourrait se poursuivre à un niveau secondaire, en nous demandant : Pourquoi, la République voisine a reçu 7 fois plus d’Investissement Direct Étranger ? Pourquoi elle a reçu 3 fois plus de Transferts Courants Nets ? Pourquoi 11 fois plus de Touristes se sont rendues là-bas plutôt qu’en Haïti ? Bref : pourquoi sa dotation financière en 2008 vaut 6 fois celle d’Haïti ?

Comme vous l’aviez remarqué, notre essai consiste à ramener l’économie dominicaine à l’échelle d’Haïti, en dépit du retard de trois mois entre les deux cycles économiques. C’est pourquoi, nous avons identifié les PIB comme vecteur principal afin d’exprimer le décalage de croissance. Donc, à la question ‘’pourquoi le décalage de croissance économique entre la République Dominicaine et Haïti ? La réponse la plus candide serait ‘’parce que ses dotations en capitaux dépassent celles d’Haïti (6 fois en 2008).

Toutefois, cette approche (fondée sur une comparaison des dotations en capital), n’est guère exhaustive et ne peut expliquer le décalage économique. En effet, les facteurs culturels et historiques, l’environnement politique déterminent aussi le devancement économique de la République voisine.

Ce travail est la prémisse d’une suite des comparaisons entre Haïti et la République voisine. Certaines questions n’ont pas été répondues pour qu’ultérieurement, le décalage économique entre ces deux États, puisse être abordée à une triple dimension, c'est-à-dire, économique-politique et culturelle.

Bibliographies
Miclel VOLLE. (2008) Prédation et prédateurs économiques, Economica, 1ère edition
Carlton D. et Perloff J. (1998) Économie Industrielle, Edition De Boeck


Lois et Décrets
http://www.mefhaiti.gouv.ht/lois_cadre.htm,
http://www.creditopublico.gov.do/decretos.htm,
http://www.creditopublico.gov.do/leyes.htm,
http://digitexthaiti.com/SDN_Circ.php,
http://www.hacienda.gov.do/legislacion/leyes.htm,

Bases de données

http://www.brh.net/
http://www.mefhaiti.gouv.ht/,
http://www.hacienda.gov.do/,
http://imf.org/external/pubs/ft/weo/2008/02/weodata/index.aspx,
http://www.bancentral.gov.do/estadisticas.asp?a=Sector_Real,
http://www.bancentral.gov.do/estadisticas.asp?a=Sector_Fiscal,
http://www.creditopublico.gov.do/,
Rubrique: Economie
Auteur: Mercier Joseph PIERRE | mercierjo@yahoo.fr
Date: 21 Avril 2009
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