Pourquoi aucun lycéen ne figure parmi les dix lauréats nationaux en 2014?de Thomas Lalime| JobPaw.com

Pourquoi aucun lycéen ne figure parmi les dix lauréats nationaux en 2014?


Dans mon article intitulé : les lycées peuvent-ils réaliser 100 % de réussite au bac I ? (1), je défendais l’idée que les élèves des écoles à 0 % de réussite au bac I ne sont pas nécessairement moins intelligents que ceux des écoles à 100 % de réussite. Il faudrait observer véritablement leur quotient intellectuel (QI) pour pouvoir effectuer la comparaison correctement, en faisant bien entendu l’hypothèse que le QI mesure assez bien le degré d’intelligence des élèves. C’est un autre débat. Je soutenais également l’idée que l’environnement familial et les conditions socioéconomiques peuvent, entre autres facteurs, expliquer un certain pourcentage de l’écart de performance, indépendamment de l’intelligence des élèves.

En résumé, disais-je, les écoles à 100 % de réussite sont fréquentées par des élèves dont les parents sont en moyenne plus éduqués et relativement plus riches que ceux des écoles à 0 % de réussite. Ce qui confère à leurs enfants un meilleur environnement de travail tant à la maison qu’à l’établissement scolaire. Les écoles à 100 % de réussite sont aussi les plus disciplinées, elles embauchent les meilleurs professeurs, les rémunèrent mieux, disposent d’un meilleur climat de travail et des matériels didactiques adéquats.

En réaction à cette inquiétante stratification, un lecteur, utilisant le surnom de TiRené1804, a fait la remarque suivante : « Je connais des élèves des meilleures écoles que vous avez citées. Je peux vous assurer que parfois certain(e)s lauréat(e)s, n'étaient pas forcément les plus aisé(e)s économiquement de leur promotion. Au contraire, j'ai pu constater que les conditions socioéconomiques limitées de certains élèves brillants dans ces écoles leur servaient plutôt de motivation pour qu'ils se consacrent davantage à leurs études, et éventuellement réussissent plus tard dans la vie, bien que cette notion de réussite soit relative. C'est aussi valable pour de nombreux professionnels issus des provinces d'Haïti, avec des conditions socioéconomiques limitées, qui réussissent quand même assez bien dans leurs études universitaires pour bénéficier d'un meilleur avenir dans la société, et ce malgré que leurs parents ne fussent pas très aisés économiquement.

Le point commun dans ces cas de figure, selon moi, c'est plutôt l'entourage de ces élèves et les valeurs que les parents de ces élèves leur transmettent par rapport à l'importance que l'éducation peut jouer pour leur garantir potentiellement un meilleur avenir, même quand cela peut ne pas suffire. À l'inverse, si l'enfant se trouve dans un milieu où la plupart des gens (parents, amis, écoliers, voisins...) qu'ils fréquentent lui font croire que l'école ne sert pas à grand chose, indépendamment du fait que les parents de cet élève soient riches ou pas, ce milieu peut influencer l'élève à négliger ses études. »

TiRené1804 souhaite que les principaux acteurs impliqués dans le processus d’enseignement (parents, professeurs, écoles, État et/ou média) devraient s'y mettre davantage pour influencer positivement les élèves en Haïti sur l'importance de l'éducation qui constitue le choix le plus sûr pour garantir leur avenir. Ces acteurs, eux aussi, mériteraient d’être sensibilisés à ce niveau. Puisque s’ils étaient conscients que l’éducation représentait le premier, voire le seul, facteur de mobilité sociale et, en conséquence, le facteur de développement économique par excellence, il n’y aurait pas toutes ces écoles « borlette».

En fait, la situation décrite par ce lecteur ne fait que confirmer mon point de vue. Il traduit le fait que des enfants d’origine sociale modeste, placés dans les écoles à 100 % de réussite, peuvent être lauréats dans les examens officiels. Tandis que ces mêmes enfants, placés dans les écoles « borlette», échouent en masse. Et cela se voit aisément quand on regarde les lauréats au baccalauréat en 2014. Aucun lycéen n’y figure. On ne retrouve pas de lycéen dans les dix premiers lauréats au bac II cette année. Pourquoi une telle absence ? Malheureusement, les données disponibles ne permettent pas de vérifier depuis quand on a observé un lycéen lauréat au baccalauréat.

Le lecteur a ajouté un point important pour l'amélioration de la qualité de l'éducation et qui pourrait jouer un rôle dans l’explication de l’écart de performance entre les écoles haïtiennes. Il s’agit du manque de bibliothèques publiques bien équipées dans toutes les régions d'Haïti ou dans toutes les villes du pays, de préférence à proximité des écoles. Elles devraient être munies de livres, d’ordinateurs, de mini auditorium pour débats et/ou spectacles, de moniteurs pour guider les élèves dans leur apprentissage ou aider ceux qui sont à la recherche d'emplois à rédiger leur curriculum vitae (CV) ou améliorer leurs connaissances en informatique.

Il illustre ses propositions en ces termes : « Imaginez ces bibliothèques placées dans tous les endroits reculés d'Haïti comme à Mombin Crochu, avec énergie solaire et Internet disponibles, offrant aux élèves et étudiants des services réguliers le soir et même le week-end. Cela faciliterait beaucoup d'élèves et étudiants qui ne disposent pas toujours d'un environnent propice aux études chez eux, que ce soit dans la capitale ou en province. L'État haïtien, les fondations privées ou les banques commerciales devraient supporter ces projets. »

Implicitement, le lecteur est en train de reconnaître que ces infrastructures existent dans les écoles à 100 % de réussite, contrairement à celles à 0 % de réussite. Et cela peut faire une grande différence dans la performance des élèves. Outre les bibliothèques, les laboratoires chimiques et informatiques, les terrains de jeu peuvent jouer un rôle dans la performance scolaire des élèves. Mais là encore, la disponibilité d’un terrain de jeu dans une école à Port-au-Prince traduit une certaine aisance financière. On observe plutôt un grand nombre d’écoles logées dans des bâtiments inappropriés sans aucun espace servant de cour de récréation et de jeu.

Le même lecteur avait mentionné dans une précédente réaction que l'organisation de tournois sportifs interscolaires (football, basketball, voleyball,...), ou cérébraux (échecs, jeu de dames,...) peut contribuer à ce que des élèves issus d'écoles situées dans différentes régions du pays et d’origines sociales diverses apprennent à se connaître et éventuellement à mieux vivre ensemble. Il en est de même, soulignait-il, des visites guidées de plusieurs écoles simultanément sur des sites touristiques, pour aider les élèves d'écoles de différents milieux socioéconomiques à se familiariser.

Combien d’écoles visitent encore le Musée du panthéon national haïtien (Mupanah) ? L’école haïtienne néglige de plus en plus sa fonction de socialisation et de sauvegarde de la mémoire collective. Et ce n’est pas sans raison que le vivre-ensemble devient un vrai casse-tête dans l’Haïti d’aujourd’hui.



(1) : Les lycées peuvent-ils réaliser 100 % de réussite au bac I ? Le Nouvelliste du 1er septembre 2014.


Rubrique: Education
Auteur: Thomas Lalime | thomaslalime@yahoo.fr
Date: 25 Nov 2014
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