Et si l’État imposait un examen officiel aux universités privées ?de Thomas Lalime| JobPaw.com

Et si l’État imposait un examen officiel aux universités privées ?


Sur 100 jeunes Québécois inscrits au secondaire, trois poursuivront leurs études jusqu’au doctorat mais un seul obtiendra ce niveau (1). Et ce malgré de nombreux programmes de bourses d’études à leur disposition. Treize s’inscriront à la maîtrise pour seulement 10 diplômés, 44 feront une demande d’admission au premier cycle universitaire, mais à peine 33 décrocheront leur licence, 62 iront au Collège d'enseignement général et professionnel (Cégep) où 40 d'entre eux recevront un diplôme d’études collégiales (DEC). 74 élèves sur 100 sont diplômés du secondaire qui ne s’étale que sur cinq ans au Québec. Deux élèves abandonneront avant d’atteindre la troisième année tandis que 25 au total n’atteindront pas la cinquième et dernière année du secondaire.

En Haïti, ces données sont plus difficiles à obtenir. Un récent article de Robert Berrouët-Oriol (2) retrace, à partir de diverses sources, le parcours des jeunes écoliers haïtiens. Par exemple, selon Bernard Salomé, « à la veille de la réforme éducative de 1979, sur 1000 enfants d’une génération, seulement 26 obtiennent la seconde partie du baccalauréat (obtiendront leur diplôme d’études secondaires, ndlr). »

Le Groupe de travail sur l’éducation et la formation (GTEF), dans son rapport, écrit: « En établissant la pyramide que représente actuellement le système éducatif haïtien, à partir des effectifs d’élèves entrant en 1re année du fondamental et ceux retrouvés à la fin du secondaire, on constate qu’il y a très peu d’entre eux qui ont pu parcourir avec succès tous les cycles d’enseignement. En effet, sur chaque 100 élèves qui entrent en 1re année fondamentale, seulement 8 ont atteint la classe de philo.» Le rapport ne renseigne pas sur le niveau universitaire.

Ces statistiques, associées à une analyse de la sociologie haïtienne, font dire au Dr Louis-Auguste Joint que « (…) jusque dans les années 1980, l’école haïtienne jouait le rôle traditionnel du tri et de la reproduction des élites » (3). De la première année du primaire à la classe de philosophie, l’école haïtienne était une énorme machine d’exclusion, regrette-t-il.

L’exclusion est d’autant plus grande que l’éducation demeure sous-financée en Haïti. Selon le rapport du GTEF (4), « l’éducation est sous-financée par l’État et les allocations publiques aux différents segments de besoins du secteur ne sont pas nécessairement efficaces, ni équitables. » L’essentiel de l’effort de financement de l’éducation, poursuit le rapport, repose en grande partie sur la participation des familles dans un pays où 76% de la population vivent avec moins de 2 $ par jour, c’est-à-dire en-dessous du seuil de pauvreté. Donc, les coûts moyens annuels de scolarisation qui étaient estimés en 2003 à 4 675 gourdes au préscolaire, 6 232 gourdes au niveau fondamental et environ 14 000 gourdes au secondaire, sont tout simplement trop lourds pour être laissés exclusivement à la charge des familles. Ces moyennes cachent les coûts élevés de certaines écoles puisqu’elles incorporent les écoles publiques dont les élèves ne paient quasiment rien. Notre confrère José Flecher (5) rapporte que l’année scolaire 2014 au niveau secondaire peut coûter jusqu’à 125 000 gourdes en Haïti dans les « bonnes » écoles de Port-au-Prince.

De plus, note encore le GTEF, « cet effort des familles ne s’accompagne pas, le plus souvent, d’une contrepartie véritable, faute de mécanismes d’assurance-qualité de la part de l’État pour protéger le consommateur».

Quid de l’enseignement supérieur ?

Depuis la publication des résultats des examens officiels du baccalauréat par école en 2014, le débat porte essentiellement sur l’enseignement primaire et secondaire. Son faible niveau a attiré l’attention de tous les secteurs vitaux de la vie nationale. D’une part, très peu d’élèves obtiennent leur bac II. D’autre part, on peut se questionner sur la compétence réelle des diplômés. D’ailleurs, cela fait déjà longtemps que les responsables des universités les plus exigeants déplorent le faible niveau des nouveaux arrivants.

J’ai déjà évalué des copies d’étudiants en quatrième année de licence en économie dans des universités privées. Dans certains cas, les phrases ne faisaient aucun sens. Et la logique était parfois complètement absente dans les textes. Je ne cesse de me demander comment seraient les résultats s’il existait un examen officiel pour les universités privées pour l’obtention du diplôme universitaire. Tout porte à croire que les résultats seraient soit similaires à ceux du baccalauréat, soit pires. On observerait peut-être la même tendance : quelques rares de ces universités obtiendraient 100 % de réussite ou presque et la grande majorité réaliserait moins de 50 %. Même les universités publiques n’inspirent plus confiance, avec ces grèves à répétition et la fuite d’un nombre important de professeurs qualifiés.

La profusion des universités «borlette» conduit à l’existence de nombreux jeunes surscolarisés mais sous-qualifiés comme l’ont fait remarquer les chercheurs américains Richard Arum et Josipa Roksa dans des travaux se rapportant aux États-Unis. Ils constatent des jeunes qui détiennent un diplôme universitaire mais ne possèdent pas les compétences d’un excellent diplômé du secondaire. Donc, si les entreprises locales embauchaient sur la base d’aptitudes réelles, ces jeunes surscolarisés n’occuperaient pas un emploi correspondant à leur prétendu niveau de formation.

Les élèves et les étudiants actuels ne constituent pas forcément les ressources humaines suffisamment qualifiées susceptibles de participer au développement économique du pays. Pourtant, les universités devraient « fournir à la société haïtienne les capacités et les compétences techniques et intellectuelles nécessaires à la prise en charge de son développement économique, social et culturel et à son insertion pleine et entière dans le monde contemporain tant au niveau régional qu’international », pour reprendre les termes du Ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) dans le préambule du projet de loi organisant l’Agence nationale de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (ANESRS).

Le projet de loi fait un constat accablant : « L’absence de cadre juridique définissant la régulation, le contrôle et l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique et précisant les responsabilités politiques, académiques et administratives ainsi que le statut de chacune des catégories d’acteurs du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique du pays explique, en grande partie, la faiblesse des structures de gestion, la mauvaise gouvernance et le faible niveau de développement caractérisant ce secteur.»

Entre autres missions, l’ANESRS devra « proposer et contrôler les régimes des études et des examens». Il était grand temps que l’État pense à faire ce contrôle. Le fera-t-il effectivement ? Le nouveau Parlement donnera-t-il suite favorable à ce projet de loi ? Entre-temps, on continue de douter de la compétence de nos diplômés des universités tant publiques que privées. En Haïti comme à l’étranger.

Il importe de noter que certains pays émergents tirent un maximum de profits de la mondialisation de l’économie grâce à un enseignement supérieur de qualité et à la recherche scientifique. Par exemple, au cours des 20 dernières années, l’Inde a exporté un grand nombre d’ingénieurs aux États-Unis. De plus, par ses 260 000 ingénieurs formés par année, le pays capte plus de 55 % du montant du chiffre d’affaires délocalisé des entreprises multinationales. Une façon d’admettre encore une fois avec l’économiste français du XVIe siècle Jean Bodin « qu’il n’y a de richesse que d’hommes ». Il dirait probablement aujourd’hui « qu’il n’ y a de richesse que d’hommes et de femmes bien formés.»



(1) Statistiques du ministère québécois de l’Éducation, du Loisir et du Sport, reportées par le journal Métro de Montréal en date du jeudi 28 août 2014.

(2) Robert Berrouët-Oriol. Qualité linguistique de l'éducation? : Pour mieux comprendre la dimension linguistique de la qualité de l’éducation en Haïti. Montréal, le 30 août 2014. http://www.berrouetoriol.com/linguistique/amenagement-creole-et-francais/qualite-linguistique-de-l-education

(3) Louis-Auguste Joint. Système éducatif et inégalités sociales en Haïti (2006). Paris, L’Harmattan, 2006.

(4) Groupe de travail sur l’éducation et la formation (GTEF). Façonnons l’avenir. Port-au-Prince, mars 2009.

(5) José Flecher. L’école en Haïti, des coûts exorbitants, Le Nouvelliste du 16 septembre 2014. http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/135821/Lecole-en-Haiti-des-couts-vraiment-exorbitants.html

Rubrique: Education
Auteur: Thomas Lalime | thomaslalime@yahoo.fr
Date: 27 Oct 2014
Liste complète des mémoires et travaux de recherche