Les lycées peuvent-ils réaliser 100 % de réussite au bac I?de Thomas Lalime| JobPaw.com

Les lycées peuvent-ils réaliser 100 % de réussite au bac I?


Réaliser 100 % de réussite au bac I relève du miracle pour la majorité des écoles dans l’Haïti d’aujourd’hui. Pourtant, à Port-au-Prince, en 2014, 15 établissements ont réussi cet exploit. Sauf que la grande majorité, 85 %, ont connu un désastre : moins de 40 % de réussite. Comment justifier cet écart ? Pourquoi certaines écoles ont réalisé un miracle et d’autres, un désastre ?
Réaliser 100 % de réussite au bac I relève du miracle pour la majorité des écoles dans l’Haïti d’aujourd’hui. Pourtant, à Port-au-Prince, en 2014, 15 établissements ont réussi cet exploit. Sauf que la grande majorité, 85 %, ont connu un désastre : moins de 40 % de réussite. Comment justifier cet écart ? Pourquoi certaines écoles ont réalisé un miracle et d’autres, un désastre ?

La réponse à cette question mérite toute une étude scientifique. Car sans y apporter une réponse pertinente, le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) ne pourra pas intervenir efficacement pour rectifier le tir. J’aborderai aujourd’hui des éléments susceptibles d’expliquer pourquoi les lycées de Fonds Verrettes et Edmond Laforest ont réalisé un taux de réussite de 0 % pendant que l’Institution Saint Louis de Gonzague et le Collège Catts Pressoir obtiennent 100 % de réussite. L’objectif de 100 % de réussite serait-il accessible aux lycées aux performances nulles ?

Le raisonnement sur la réussite scolaire doit tenir compte de l’ensemble des quatre principaux acteurs impliqués dans le processus d’enseignement : les élèves, les parents, les écoles et l’État. La seule explication de l’échec à exclure est celle qui consiste à dire que les élèves des 54 établissements scolaires qui ont eu un taux de réussite de 0 % au bac I sont des cancres. En fait, rien ne dit que l’enfant qui échoue au Lycée de Fonds Verrettes ne serait pas lauréat au même examen s’il fréquentait Saint Louis ou Catts Pressoir, dans des conditions socioéconomiques nettement plus favorables à l’apprentissage.

En ce sens, les élèves sont les seules vraies victimes du système éducatif. Bien qu’ils aient un rôle important à jouer dans leur succès, donc une responsabilité à assumer dans leur échec. Le seul véritable reproche que l’on puisse faire aux élèves serait leur manque d’implication dans leurs études. Mais là encore, ils ne décrochent pas, malgré la précarité dans laquelle ils évoluent. Par exemple, au Québec, environ 30 % des élèves abandonnent l’école avant la fin des études secondaires et 40 % des parents craignent que leurs enfants fuient l’environnement scolaire de façon prématurée.Les élèves haïtiens démontrent donc leur bonne volonté d’apprendre. L’État, les parents et les écoles devraient pouvoir assurer le reste.

Il faut aussi noter une certaine réticence des élèves à déployer l’effort nécessaire à un apprentissage efficace.Mais cela relève d’un sentiment de réussite facile qui se répand de plus en plus au niveau de la société haïtienne dans son ensemble.S’agissant de l’effort et de l’implication des élèves, il faut reconnaître que les écoles les plus performantes sont celles où la discipline et la rigueur s’érigent en normes. Tant chez les professeurs que chez les élèves. Ces derniers sont obligés de faire leurs devoirs, de prendre part à toutes les activités scolaires, de ne pas être en retard.Les professeurs, eux, doivent évaluer, proposer, surveiller et guider leurs apprenants. Aucun écart de conduite n’est toléré.

À l’inverse, au Lycée Pierre Eustache Daniel Fignolé que j’avais fréquenté de la troisième à la philo (1993-1996), on avait que les examens comme seules évaluations : trois maximum quand il n’y avait pas de turbulences politiques. En rhéto et en philo, l’examen officiel constituait notre seule épreuve. Déjà, le nombre d’élèves par salle de classe rendait quasi-impossible la correction et la supervision des devoirs par les professeurs. On ne connaissait même pas l’effectif exact d’une salle de classe au Lycée Daniel Fignolé pendant la période du coup d’État militaire,tant il était envahi par des élèves dont les parents étaient frappés de plein fouet par l’embargo économique imposé par les États-Unis au gouvernement de facto de l’époque.

Le Lycée a, semble-t-il, gardé cet héritage de salles de classe surchargées. Il a inscrit 674 candidats au bac I en 2014 pour seulement 121 heureux admis, soit un taux de réussite de 17.95 %. À mon époque, on comptait seulement quatre classes de rhéto – deux au matin, deux au soir - avec plus d’une centaine d’élèves par salle.

Dans les 15 écoles qui ont réalisé 100 % de réussite au bac I, celle qui compte le plus grand nombre d’élèves, 95 au total, est l’Institution Saint Louis de Gonzague. Sans doute pour plusieurs salles de classe. On voit le contraste avec les élèves du Lycée Daniel Fignolé qui, à mon époque, se tenaient debout,s'asseyaient sur des blocs, prenaient des notes par la fenêtre ou sur le dos d’un ami.

Quelques rares professeurs nous proposaient des devoirs et prenaient soins de jeter un coup d’œil sur les essais des élèves qui se prêtaient au jeu. Mon premier contact avec le Dr Watson Denis a été par le biais d’un de ces essais en histoire. Il en était de même avec le professeur Bérard Cénatus, à l’époque doyen de l’École normale supérieure, en philosophie. Lui, il avait la manie de lire le texte jusqu’à la première erreur. Une fois celle-ci trouvée, la feuille était balancée dans l’air. Et très souvent, il ne dépassait pas la première phrase pour certains élèves. La grande fierté était de le voir arriver jusqu’à la fin d’un essai.

Le poids des variables socioéconomiques

L’engagement et l’encadrement des parents constituent des paramètres fondamentaux dans la réussite scolaire de leurs enfants. Mais ces paramètres cachent plusieurs facteurs qui échappent très souvent à la capacité de la majorité des parents haïtiens. Entre la tête et la queue du classement des écoles selon leur performance bac I, les conditions socioéconomiques des parents divergent.

Les établissements à 100 % de réussite ont une plus forte probabilité d’avoir des parents éduqués et relativement fortunés. Ils peuvent nourrir correctement leurs enfants, s’acheter les matériels didactiques et se payer des professeurs particuliers au besoin. Leurs enfants ont accès à l’Internet, à l’électricité 24/24 et aux conditions matérielles susceptibles de favoriser l’apprentissage.

Quant aux parents des écoles à 0 % de réussite, certains ne savent pas lire, donc ne peuvent pas aider leurs enfants, en dépit de leur bonne volonté. D’autres ne peuvent pas fournir les matériels scolaires à leurs enfants. Le pain quotidien, le transport et le loisir constituent pour eux des soucis permanents. Dans un tel environnement, l’éducation est reléguée au second plan et la performance scolaire devient aléatoire.

En ce qui a trait aux professeurs, il n’est un secret pour personne que les écoles à 100 % de réussite en disposent des meilleurs. Elles détiennent également les meilleurs outils et techniques d’enseignement. Au Lycée Daniel Fignolé, nous avons eu, en majorité, de bons professeurs. Ils n’étaient cependant pas toujours réguliers. La palme d’absentéisme revenait à ce syndicaliste qui ne dispensait pas plus que six cours pendant l’année académique 1993/1994. La présence de professeurs compétents explique pourquoi les lycées ne constituent pas les pires établissements du système. En moyenne, ils performent quand même mieux que les écoles privées « borlettes». On peut légitimement douter de la capacité de certains professeurs de ces pseudos écoles à réussir eux-mêmes l’épreuve dans la matière qu’ils enseignent.

Je n’arrive toujours pas à comprendre que pour ouvrir une clinique, il faut obligatoirement l’engagement d’un médecin, pour faire fonctionner une pharmacie, il faut la signature d’un pharmacien licencié, alors que certains directeurs d’écoles sont complètement étrangers à la science de l’éducation et à l’enseignement. Qui les autorise ? Qui les contrôle ? Les réponses à ces questions suggèrent que les causes principales du désastre de la grande majorité de ces écoles aux examens officiels sont à rechercher également au niveau de l’État haïtien, trop peu préoccupé par ce facteur crucial du développement national. Pourtant, tant vaut l’école, tant vaut la nation, dit le vieil adage. Bien plus qu’une sagesse populaire, ce proverbe identifie une des causes profondes de notre sous-développement : la faiblesse et l’incohérence de notre système éducatif.

Il était donc temps que le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) exige cette fameuse Carte d’identité d’établissement (CIE). Les critères d’obtention et de renouvellement de cette carte doivent être clairement établis. Le mieux serait que le MENFP fasse voter une loi régissant la matière avec un moratoire de cinq ou dix ans pour que toutes les écoles privées « borlettes» se conforment aux exigences de fonctionnement d’une école moyenne.

Passé ce délai, celles qui réaliseront moins de 5 % de réussite au bac seront obligées de transférer tous leurs élèves dans les lycées. Pendant ces cinq ou dix ans, l’État s’efforcera d’augmenter graduellement mais de façon intensive le nombre de lycées fonctionnant adéquatement, conformément aux dispositifs prévus dans le Plan stratégique de développement d’Haïti. Le seuil de 5 % augmentera d’un point de pourcentage l’an jusqu’à concurrence de 30 %. En fait, il faudra un plan de relèvement de la qualité de l’éducation qui s’étend sur 20 ans.

Tenant compte de l’ensemble des facteurs énumérés ci-dessus, on se rend compte que la performance des lycées est difficilement comparable à celle des écoles à 100 % de réussite. La clientèle et l’environnement socioéconomique peuvent expliquer un certain écart de performance ; le seuil reste à déterminer. En ce sens, les 81.41 % de réussite du Lycée Marie Jeanne au bac I est tout aussi honorable que les 100 % des 15 écoles les plus performantes. Celles-ci peuvent d’ailleurs refuser la demande d’admission de certains parents sur la base de critères que le directeur du lycée ne peut se le permettre. Or, s’il ne faut que trier les meilleurs, les plus aptes et les plus aisés pour garantir le succès, on pourrait dire avec Pierre Corneille : « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.»

L’État doit offrir un meilleur environnement de travail aux écoles publiques, écoles nationales, lycées et universités, afin de garantir une certaine mobilité sociale à la grande masse de citoyens défavorisés qui, présentement, se transfèrent la pauvreté de génération en génération. La multiplication de ces écoles publiques, munies de professeurs compétents, de matérielles didactiques adéquates et de l’aide aux enfants démunis contribuera à éliminer les écoles « borlettes» du système. À tous les niveaux.C’est le meilleur moyen d’effectuer un vrai virage vers la qualité de l’éducation, condition sine qua non du décollage économique national.


Rubrique: Education
Auteur: Thomas Lalime | thomaslalime@yahoo.fr
Date: 2 Sept 2014
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