Enjeux du systeme sanitaire et judiciaire haitien sur la problematique de la zombificationde Wilton VIXAMAR| JobPaw.com

Enjeux du systeme sanitaire et judiciaire haitien sur la problematique de la zombification


Le problème de zombification s'inscrit largement dans les traditions Haïtiennes et risque de devenir un cancer qui gangrène les assises sociales si les systèmes sanitaires et judiciaires n'agissent pas en conséquence.
En médecine légale, la mort peut se définir comme la cessation irréversible de toutes les fonctions vitales de l’organisme, en particulier la respiration et l’automatisme cardiaque. Bien que son diagnostic soit tributaire à des procédures rigoureusement scientifiques et bien standardisées dans certains pays à fin de s’assurer de son irréversibilité, chez nous, en Haïti, il reste un défi singulier auquel se heurte la société de manière générale et en particulier le Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP) et celui de la Justice et de la Sécurité Publique (MJSP). Ce phénomène qui était considéré jadis comme un événement naturel ou biologique est devenu un problème conceptuel très alambiqué souvent influencé par les progrès de la science, de la philosophie, de la culture et des croyances humaines. En milieux ruraux comme urbains, on se voit souvent absorbé par des réflexions autour de la zombification surtout quand quelqu’un est frappé par une mort subite de quelque nature que ce soit ; Des épithètes divers, les uns les plus superstitieux que les autres, mystiques ou ésotériques, n’y tardent pas à être épinglés.

La zombification est inscrite fortement dans notre culture depuis longtemps, très longtemps. A l’heure actuelle, elle prend une allure très complexe et devient un cancer qui gangrène les assises sociales haïtiennes. Cependant, si bon nombre de gens classent ce phénomène dans une réalité haïtiano-africaine, scientifiquement prouvée, l’évidence de certains scénarii soupçonneux et des réflexions axés autour de certains aspects techniques et scientifiques élémentaires peuvent mettre en exergue éloquemment la complexité du phénomène dans le contexte social, médical et légal haïtien.

On ne peut pas nier des simulations de mort suivies des manœuvres de vulgarisation de leurs résurrections fallacieuses ou chimériques orchestrées par des individus mal intentionnés dont des hougans à des fins propagandistes pour attirer des clients. Malheureusement, la désuétude de notre système de santé, la médiocrité et la corruption sévissant au sein de l’appareil judicaire dont le système d’Etat civil, sont autant de facteurs qui cautionnent la perpétration de ces actes d’escroqueries. Pour la conformité des uns et la complicité des autres, les enquêtes se poursuivent inlassable et subséquemment sans résultats!

Le spectacle de la présumée résurrection du Hougan Adelin Séide «Denden », dont les funérailles hypothétiques ont été chantées à la paroisse Saint-Pierre de la ville de Terrier-Rouge le mercredi 5 mai 2010 par le Révérend Père « Jacques Leclerc Eyma », peut être ici évoqué. Nous ne prétendons nullement le taxer de propagandiste ni exiger les autorités judiciaires à placer le mot du droit, mais pour mieux cerner les faiblesses des systèmes haïtiens mis en place cautionnant par ricochet ces genres de drames, nous allons essayer succinctement de jeter quelques lignes sur certaines procédures administratives, religieuses et /ou funéraires relatives au trépas d’un sujet:

1. L’obtention du certificat ou du constat de décès;
2. L’établissement de l’acte de décès ;
3. La conservation du cadavre ;
4. La célébration des funérailles.

1.- L’obtention du certificat ou constat de décès :

Dans certains pays qui disposent d’une législation de la mort, le certificat ou le constat de décès est un élément incontournable pour déclarer le décès, pour le transfert du cadavre vers une pompe funèbre. Il vise à s’assurer de la réalité et de la constance de la mort, satisfaire à des obligations statistiques de la santé publique indiquant des renseignements sur la cause occasionnelle du décès et des autres états morbides (causes secondaires) et s’assurer de l’identité de la personne décédée. Dans l’hypothèse de certaines maladies hautement contagieuses tel le choléra, le certificat indique même la nature du cercueil imposé et certains autres détails de la maladie permettant à l’officier de l’Etat civil de refuser ou d’autoriser certaines opérations funéraires. Ce document médico-légal doit être obligatoirement délivré par le médecin de l’établissement sanitaire si le décès survient en milieu hospitalier ou par le médecin qui arrive sur les lieux et constate si ce décès survient à domicile ou dans un milieu non-hospitalier. En France, le code des collectivités territoriales stipule que ce document est indispensable pour délivrer l’autorisation de fermeture des cercueils.

En milieux haïtiens, le certificat ou le constat de décès n’est pas officiellement un document obligatoire pour déclarer le caractère réel ou constant de la mort. La majorité de la population ignore même cette procédure administrative. D’ailleurs le diagnostic de la mort est essentiellement basé sur des signes ordinaires et précoces, alors qu’il existe des états morbides susceptibles d’imiter la mort et dont le diagnostic différentiel exige des procédures para-cliniques très sophistiquées telles que l’Electroencéphalogramme(EEG), angiographie cérébrale, échoencéphalographie, la méthode d’Icar, l’électrocardiogramme(ECG), l’artériotomie radiale, entre autres. Si dans la majorité des institutions sanitaires ces procédures ne sont pas de mise, on peut malencontreusement imaginer avec une certaine aisance le nombre d’erreurs de diagnostic causées par nos praticiens haïtiens, voire par des individus dépourvus de la moindre compétence technique en la matière. Car si l’on ne s’abuse pas, la majorité des décès sont survenus dans les milieux non-hospitaliers. Un simple arrêt des activités cardio-circulatoires et respiratoires est couramment tenu pour établir un décès ! Nos méthodes de diagnostic routinières et démodées laissent croire indubitablement qu’il y a certains sujets déclarés morts et subséquemment enterrés qui pourraient gracieusement en sortir spontanément ou sous l’influence d’un ABC de réanimation approprié impérieusement appliqué.

2.- L’établissement de l’acte de décès:

Depuis la fin du moyen-âge, le droit romain insistait sur la constance, la réalité et la matérialité de certains faits. Dans certains pays structurés, l’acte de décès ne peut être dressé qu’à la soumission d’un certificat ou d’un constat établi par un médecin ayant constaté ou certifié la mort. En Haïti, conformément aux prescrits de la loi du 20 Aout 1974 sur l’Etat civil et le décret du 19 janvier 2006 réorganisant le Ministère de la justice, l’établissement de l’acte de décès relève des attributions de l’Officier de l’Etat Civil du quartier ou de la commune de résidence du défunt. Celui-ci demeure l’autorité publique communale rattachée au Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique (MJSP). Pourtant, l’illogisme est souvent prononcé de manière la plus ostensible au niveau de l’appareil judiciaire. Les pratiques des officiers de l’Etat civil en vigueur donnent libre cours à toute sorte de tentatives espiègles simulant la mort. En tant que gardiens de la régularité et la légalité intrinsèque de l’acte de décès, ils en délivrent sur la responsabilité et le contrôle du Parquet près le Tribunal de Première Instance (TPI) et du service d’inspection et de contrôle du MJSP ordinairement sous la base d’une simple déclaration verbale, contrairement à la loi, en contrepartie de quelques sous.
3.- Conservation des cadavres/célébration des obsèques:

Si les traités juridiques accordent une importance capitale au « corps du délit » dans l’instruction d’un délit ou d’un crime, la constance du décès devrait être incontournable pour les pompes funèbres et les détenteurs de l’autorité ecclésiastique, évangélique, épiscopale, catholique, baptiste, vodouisante tant pour la conservation des cadavres que pour l’organisation des cérémonies funéraires. Malheureusement, chez nous, il n’y a aucune réglementation structurée visant à établir la réalité de la mort ou objectiver la présence du cadavre dans le cercueil. D’un côté, les chambres funéraires acceptent la mise en conservation des présumés cadavres sur base d’un simple acte de décès dont les procédures d’établissement sont très obsolètes et au cas où ce présumé mort présente des signes subjectifs ou objectifs d’une recrudescence à la vie, il sera carrément tué par les bourreaux. D’où mon interrogation : Faudrait-il une interrelation exceptionnelle entre les chambres funéraires et des services médicaux d’urgences ? D’un autre côté, les officiants célèbrent leurs funérailles sans avoir même objectivé le corps de la cérémonie dans le cercueil. L’absurdité bat ici son plein ! N’était-ce pas vrai que l’ex-curé de la paroisse St-Pierre de Terrier-Rouge lors de l’interview accordée autour de la présumée mort de M. Adelin Seide crachait : « mwen te chante antèman an vre, men mwen pa te verifye si mò a te nan sekèy la paske li te rive twò anreta» ? Selon les propres déclarations de ce détenteur de l’autorité de Vatican, le terme cérémonie mortuaire ou funérailles reste toutefois un problème conceptuel à redéfinir, car on estime que parfois cette célébration s’adapte aussi bien à des cercueils vides ou contenant des objets tels que « bwa mèstiyen beni, bwa bannann etc ». J’ose croire qu’il faudrait établir la réalité et la constance de la mort avant que des éventuelles funérailles soient chantées. Sinon, les détenteurs de l’autorité des sectes courent le risque d’être ridiculisés par des sujets voulant pervertir l’intelligence humaine.

Ces réflexions sont très loin d’être exhaustives, mais sans vouloir nier le phénomène de zombification de notre folklore ni rentrer d’emblée dans ce débat qui a fait sans doute couler trop d’encre par des experts chevronnés des sciences sociales et humaines, elles ont tenté d’expliquer de manière grosso modo certaines faiblesses du système sanitaire et de l’appareil judiciaire haïtien et certains corollaires qui en découlent notamment des scénarii survenus dans des pompes funèbres ou des simulations défrayant la chronique.

Il est grand temps que nos législateurs, nos praticiens, les secteurs religieux, le MJSP, le Ministère des cultes prennent conscience de la complexité du phénomène de zombification et commencent à épouser certains dogmes universellement standardisés afin de prononcer impérieusement par devant le tribunal de l’histoire le divorce entre l’amateurisme et le professionnalisme.

30 Octobre 2011
Vixamar Wilton



Rubrique: Conseils Emploi
Auteur: Wilton VIXAMAR | vwilton2002@yahoo.fr
Date: 22 Nov 2011
Liste complète des mémoires et travaux de recherche