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Aimer autrement
Les adolescents vous le diront peut-être : « il y a de ces personnes qui vous aiment tellement qu’on a envie de nous sauver car elles nous font du mal ». Ma femme pense que j’aime trop mon pays! En effet, pour beaucoup d’Haïtiens, l’amour de leur pays se limite à une certaine passion de la politique et des choses publiques d’Haïti. Dans le passé, j’ai eu à aimer passionnément mon pays, mais j’ai changé. À ce qu’on dit l’âge amène la raison.

En 1983, je suis revenu à Port-au-Prince de Las Vegas avec dans ma tête beaucoup de rêves pour mon pays natal. En vivant chez l’oncle SAM, j’avais découvert l’amour du travail et le goût de s’investir personnellement pour changer sa vie. Bien des gens dans mon entourage, aux États-Unis avaient à peine un diplôme de fin d’études secondaires et ils avaient réussi grâce à la sueur de leur front. On parlait alors du rêve américain. Arrivé à la maison à Delmas en Haïti, on me questionna énormément. La première question de ma mère et de mes amis me déstabilisa grandement: «Quand comptes-tu repartir? ». Après avoir passé plus de dix-huit mois à l’extérieur, je m’attendais à plus d’égard que cela. Je voulais qu’on me laisse savourer un peu. Je voulais revisiter chacun des départements et des arrondissements d’alors. Mais, je n’ai pas pu résister à la tentation. Avec mes deux emplois, j’avais travaillé du matin au soir et avec une petite économie, je suis reparti vers des cieux plus cléments en laissant tomber mes rêves de changement pour mon pays.

Haïti vit d’amour et de l’eau de rose. C’est un pays qui subit un excès d’amour. Durant le temps de la colonie, la France a préférée nos 27 750 km² à la grande superficie du Canada d’alors. Ça devait être le climat agréable réglé par les vents alizés. Mais une chose est sûre après sa propre révolution en 1789, elle nous a fait payer 150 millions de francs-or en réparation pour la reconnaissance de notre envie de liberté.

Au fait mes compatriotes et moi sommes de bons élèves, nous avons appris à la bonne école. Au moindre difficulté, nous partons. Mais il ne faut pas douter de notre amour. Nous aimons si fort notre pays qu’on a de la difficulté à nous y installer un peu. Pour ceux qui sont en zone rurale, Au début du 20è siècle, c’était la migration vers Cuba (Camaguey) et ensuite la République Dominicaine. Aux Bahamas et à Saint Martin, nous sommes de véritables héros. On parle de nous à tout bout de champ. Que dire des Etats-Unis!, il y en a qui y vont pour leur magasinage saisonnier. La population urbaine aussi émigre également. Au début vers l’Europe, ensuite au Canada et aux États-Unis. Ces mouvements de population apportent un apport financier aux familles restantes, un transfert technologique ou de savoir-faire quand les ouvriers retournent dans leur localité par la suite « un remembrement spontané qui permet de moderniser les techniques et d’optimiser les revenus paysans. » (PNUD, 2005). Mais cette situation crée l’exode des cerveaux, des ruptures familiales et un engouement pour la migration qui finit souvent en tragédie dans la haute mer. « Entre mai 2002 et octobre 2005, les Bahamas ont rapatrié 15950 immigrants illégaux en Haïti » (PNUD, 2005). De plus avec la mutation de l’économie et la récession mondiale, les portes se ferment (spécialement pour la population rurale haïtienne en pleine expansion) que ce soit dans la Caraïbe ou aux États-Unis.

Aujourd’hui, je suis dans la quarantaine, je vis au Canada et j’aime un peu plus mon pays. C’est un amour avec beaucoup de raison et un peu moins de passion. Je veux contribuer à son épanouissement. À l’Université, je fais des recherches pour trouver des réponses aux maux qui nous gangrènent. Comme par exemple, notre système éducatif avec ses résultats lamentables. Étant donné que j’ai toujours œuvré au niveau de la formation professionnelle, je m’intéresse au monde des métiers et de la situation du travail en général. Je pense que trop d’hommes de métiers sont au chômage. Alors qu’au Canada, nous avons de la difficulté à trouver du temps pour tout faire, dans mon pays natal, on a de la difficulté à trouver de quoi faire. Au fait certaines entreprises ne veulent même pas prendre des stagiaires. C’est une injustice sans égal pour les autres habitants de l’Amérique. Nous et notre pays sommes trop aimé et trop choyé. La communauté internationale veut notre bien et ne cesse de nous témoigner leur amour. Des pays amis comme le Canada et les États-Unis, envoient des déportés (la majorité est âgé de 25 à 34 ans) pour augmenter le trafic de la drogue, les vols à main armé, le kidnapping etc. « Ce sont aussi, on le sait moins, les 50 déportés venant des États-Unis qui atterrissent à l’aéroport de Port-au-Prince chaque semaine » (PNUD, 2005). Ou ils parlent de nous pour augmenter le flux touristique ou notre économie: « La pauvreté extrême et la corruption vont souvent main dans la main. Haïti est le seul pays dans les Amériques à apparaître sur la liste de Les pays les moins avancés de l´ONU. Cette nation est aussi la plus corrompue de l´hémisphère ouest, selon Transparency International. En fait, dans le monde entier les seuls gouvernements plus vénaux que Port-au-Prince sont ceux de l´Iraq, la Birmanie et la Somalie. » (AFP, 2009).

Donc quand je vois les étudiants manifester leur contentement sur la place publique ou nos politiciens témoigner leur zèle pour le développement durable, cela ne me dérange pas. Ils sont des passionnés. Mais quand ils vont réaliser que la température clémente dont nous jouissons et l’abondance de temps qui est accessible à plus d’un fait augmenter la population à plus de 2.5% et que notre PIB est de 1.8%. Ils vont désenchanter. Car « les résultats disponibles pour l’exercice 2004-2005 montrent une légère amélioration de la situation économique avec un taux de croissance de 1.8% toutefois insuffisant par rapport au taux de croissance de la population pour engendrer un PIB per capita croissant.» (PNUD, 2005).

Ce sera le temps de prévoir comment augmenter notre PIB pour dépasser la croissance annuelle de la population. Donc vous comprenez mon dilemme, je n’ai pas le temps d’aimer Haïti passionément. Je dois travailler pour son épanouissement.

Mais vous qui me lisez, qu’allez-vous donc faire pour diminuer le nombre de chômeurs dans notre pays? En attendant, essayons d’aimer moins notre pays mais de travailler par nos gestes quotidiens à son épanouissement.

À la prochaine.


Références bibliographiques :

PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement). Situation économique et Sociale d’Haïti en 2005. Haïti. p. 49, 51, 54, 70.

Belizaire, T. (2009). Les 10 villes les plus dangereuses pour investir. AFP




Rubrique: Education
Auteur: Ronald Estrade | restrade@hotmail.com
Date: 21 Aout 2009
Liste complète des mémoires et travaux de recherche