Pourquoi le décalage économique entre Haïti et la République Dominicaine ? (Suite) de Mercier Joseph PIERRE| JobPaw.com

Pourquoi le décalage économique entre Haïti et la République Dominicaine ? (Suite)


Après la récente publication (Pourquoi le décalage économique entre Haïti et la République Dominicaine/Différences en potentiel écologique/ Réf: Nouvelliste #38100 du 21/06/09), nous continuons la comparaison, cette fois-ci, par des ‘’Différences en potentiel des Zones Franches’’.
Différence en potentiel des Zones Franches

Avec le regroupement du grand marché de la CARIFORUM (par l’Accord de Partenariat Economique-Union Européenne), les Zones Franches deviennent une voie incontournable en matière de compétitivité commerciale. Pour les deux pays en question, elles constituent, (avant la ratification dudit Accord), le principal relai entre les industries locales et les grands marchés externes. Toutefois, le potentiel des zones franches diffère entre les deux pays et il importe d’apprécier quelques-uns de leurs apports dans les deux économies.

Selon le Rapport de la Direction des Zones Franches de 2007, les zones franches contribuent en moyenne à 78% des flux d’exportation. Par exemple, en 2007, les exportations en provenance de celles-ci ont été de 4,56 milliards de dollars américains contre 7.23 milliards pour les exportations totales (page 52). Selon le même rapport, le territoire dominicain détenait 53 zones franches en 2007 pour un total de 526 entreprises franches. Elles (les 53 Zones Franches) ont une superficie avoisinant 182, 886,935 pieds2 (environ 1,700ha » 2,193 carreaux de terre ; avec: 1 ha = 107, 639.10 pieds carré et 1 ha = 1.29 carreau de terre). Entre autres, le cumul des investissements, injectés dans ces zones franches, totalisait 2.5 milliards de dollars américains et 991 milliards de dollars provenaient des Etats-Unis, selon le même rapport.

En Haïti, les productions textiles (concentrées dans la SONAPI), sont les principales composantes de l’industrie manufacturière qui, elle-même, finance les exportations à plus de 80%. Selon les données fournies par la Direction des Zones Franches, Haïti ne détient que deux (2) zones franches pour une superficie totale de 100.44ha » 129.50 carreaux de terre.

Selon les données de 2007, la Société Nationale des Parcs Industriels (SONAPI), créée par le Décret du 29 mars 1979, détenait 47 bâtiments (dont 3 bâtiments industriels) pour une superficie totale de 54ha. Ensuite, la Compagnie de Développement Industrielle, S.A. (CODEVI), détenant 3 bâtiments, est la zone franche la plus active avec une superficie de 46, 44ha. Selon des données non officielles, ces deux zones franches ont un potentiel de 30 mille emplois. Toutefois, d’autres Zones franches sont en cours de construction et on retient (i) Haiti Investment, S.A. (HINSA) ; (ii) RHÉA Free Zone, S.A. et (iii) Quisqueya Free Zone, S.A. Ci-dessous, nous reportons la listes des Zones franches qui ont été créées entre 1990 à 2007 en Haïti et en République voisine ainsi qu’une estimation de leurs superficies.
Tableau 1. Liste comparative de Zones franches créées en Haïti et République Dominicaine
Période : 1990 à 2007
Superficies exprimées en ha
Zones Franches en République Dominicaine Zones Franches en Haïti
Date de creation Non Superficies en ha(estimations sujettes à correction) Non Superficies en ha
1990 1. Hato Mayor 4.7 1. Aucune -
1990 2. La Armería 13.2 2. Aucune -
1990 3. Los Alcarrizos 21.5 3. Aucune -
1990 4. San Fco. De Macorís 12.6 4. Aucune -
1990 5. Cotuí 8.0 5. Aucune -
1991 6. Pedernales 1.4 6. Aucune -
1993 7. PISANO 25.8 7. Aucune -
1993 8. Gurabo 11.0 8. Aucune
1993 9. Santiago-Licey 10.5 9. Aucune -
1995 10. Excel Boca Chica 1.5 10. Aucune -
1996 11. Navarrete 7.8 11. Aucune -
1996 12. Palmar Abajo 2.8 12. Aucune -
1997 13. Palmarejo 3.9 13. Aucune
1997 14. Caribbean Ind. Park 35.1 14. Aucune -
1997 15. Laguna Prieta 1.7 15. Aucune -
1997 16. Tamboril 8.5 16. Aucune -
1997 17. Santiago-Jánico 13.5 17. Aucune -
1999 18. Bayaguana 13.2 18. Aucune -
1999 19. Salcedo 12.3 19. Aucune
2000 20. El Seibo 14.7 20. Aucune -
2000 21. Los Mina 2.5 21. Aucune -
2000 22. Jaibón 3.4 22. Aucune -
2001 23. Hato Nuevo 3.7 23. Aucune -
2001 24. Cibernético 32.5 24. Aucune -
2001 25. Zona Franca Ind. Luna 5.0 25. Aucune -
2001 26. Quisqueya 15.3 26. Aucune -
2002 27. Multimodal Caucedo 80.5 27. Aucune
2004 28. La Palma 12.1 28. CODEVI 46 ha 44
2004 29. Don Pedro 2.7 29. Aucune -
2004 30. Bella Vista 227.4 30. Aucune -
2005 31. El Limonal 2.2 31. Aucune -
2005 32. La Hispaniola 2.0 32. Aucune -
2006 33. Dos Rios 114.0 33. Aucune -
2007 34. Multiparques 5.1 34. Aucune -
Total 34 Zones franches 731.9 ha» 7.4 Km2 1 Zone Franche 46.44 ha» 0.46 Km2
(Sources des données: Rapport de 2007-Conseil National des Zones Franches d’Exportation : CNZFE, page 16 pour Rép. Dom.
Rapport de 2007 de la Direction des Zones Franches, pour Haïti)


En effet, le tableau ci-dessus permet de relever l’observation suivante : sur la période sous étude, l’État voisin a concédé 7.4 Km2 comme espaces réservés aux Zones franches contre 0.46 Km2 pour Haïti. Ainsi, elles traduisent les attitudes qu’ont toujours eues les deux États en matière de planification et concession de leurs territoires. D’un coté, on retrouve ‘’un état riscophobe qui ATTEND GODOT et, de l’autre coté, un état riscophile qui part À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU. Néanmoins, il faut reconnaître qu’une zone franche demande de l’espace et, sans un aménagement planifié du territoire, il n’est guère facile d’opérer ces concessions. Par ailleurs, contrairement à ce que rapporte l’opinion publique, une zone franche n’est pas un secteur. Du point de vue réglementaire, elle est (i) un regroupement de secteurs, (ii) un relais intersectoriel (liaisons entre les industries locales) et sert d’interface avec le commerce extérieur.

Au fait, l’expérience révèle que la création d’une Zone Franche requiert toujours un d’arbitrage pour l’Etat qui est celui-ci : Sur le court-terme, il doit concéder des exonérations (généralement fiscales et douanières) qui seront converties, sur le long terme, en création d’emplois ou en création de PME. On le sait déjà, une Zone franche est un découpage interinstitutionnel où se rejoignent les expériences en Assurance, en économies et en Finances; c’est là où se regroupent les Firmes de vérification, les cabinets d’Avocats et les Hôpitaux. Globalement, elles favorisent l’adaptation des technologies importées au système de production locale (Blomström et Kokko, 1998) et le développement d’autres système de production découlant de la maîtrise des technologies importées (Gregio et Lee, 1997).

En sus, l’expérience montre que, via les zones franches, l’Etat se crée toujours une proximité avec les investisseurs locaux et les citoyens en y apportant les services de base (eau, électricité, communication, infrastructure, main d’œuvre) et en amorçant l’ouverture sectorielle. Toutefois, au delà de cet engagement étatique, les opportunités de marché jouent fortement dans la multiplication de celles-ci et, dans cette perspective, la préoccupation fondamentale est de savoir si elles (Z.F) sont rentables à l’économie (output ³ input). Dès lors, on peut formuler les questions suivantes: ‘’les Zones franches sont-elles réellement rentables en Haïti ? le sont-elles en République voisine ?

Dans le cas d’Haïti, l’inexistence des données officielles (sur les investissements nets, sur les exportations réelles des ZF) ne nous permet pas de faire cette appréciation. Quant à la République voisine, les données recueillies dans le Rapport de 2007 du CNZFE (page 51 et 52) permettent de dresser le tableau ci-dessous :


Les données, reportées dans le tableau ci-dessus, montrent les flux nets (exportations/input – importations/output) réalisées par les Zones franches ainsi que leurs poids dans les exportations totales. Par exemple, pour l’année 2007, elles (Z.F) ont rapporté 1,980.10 millions de dollars à l’économie dominicaine et ont financé les exportations totales à hauteur de 63.0%. Conséquemment, ces flux annuels de devises permettent (i) un meilleur contrôle des cours inflationnistes d‘origine monétaire, (ii) le refinancement sectoriel et surtout (iii) une meilleure couverture des importations par les exportations. Dans le cas d’Haïti, le rétrécissement sectoriel et le nombre réduit des zones franches mettent à mal cette posture financière et monétaire dont jouit l’économie voisine et il revient de reformuler les questions précédemment abordées : ‘’combien rapportent les zones franches à l’économie et quels sont peurs poids dans les flux d’exportations ? Combien HOPE II rapportera-elle à Haïti ?

Dans un cadre global, on comprend que la multiplication des zones franches relève des initiatives étatiques et l’expérience en République voisine le confirme puisque 33% sont publiques (les autres sont mixtes). Cependant, 75% des 2.5 milliards de dollars investis dans celles-ci, émanent des instances privées. Puis, sur les 526 entreprises franches, 240 appartiennent aux investisseurs nord-américains qui y investissent 991 millions de dollars américains. Pour Haïti, les investissements publics sont plutôt marginaux et les entreprises franches sont privées.

Au clair, la leçon à retenir des observations précédentes est que (i) l’implication directe de l’État avec 19 Zones franches publiques (contre 1 pour Haïti), (ii) la négociation de l’espace avec une concession de 7.4 Km2 (contre 0.46 Km2 pour Haïti) expliquent valablement le décalage en zones franches entre les deux économies. Sur le plan externe, les accords commerciaux ne font que canaliser (clustering) les investissements étrangers dans les secteurs privilégiés et mettent en lumière le modèle d’industrialisation sur invitation de LEWIS (Lewis, 1955). Ci-dessous, nous reportons l’évolution des Investissements Directs Étrangers (IDE) dans les deux économies. Les graphes montrent la forte correspondance entre création de Zones Franches et l’accroissement des Investissements Directs Étrangers (voir tableau #1, ci-dessus)



Entre autres, en dépit des pertes fiscales enregistrées par l’État sous forme d’exonérations, les statistiques montrent que les Zones franches créent de grands cloisonnements entre les pôles économiques en créant des bassins d’emplois directs et indirects, en accélérant la formation des épargnes privés et le déblocage du crédit (nous reviendrons sur ce cas ultérieurement). Par exemple, dans le cas de la République voisine, il existe un triangle de zones franches, entre la Province du Nord (avec Santiago), le District national (avec le District National et Santo Domingo) et la Province de l’Est (avec San Pedro de Macoris). Dans ce triangle, cohabitent plus d’une quarantaine de zones franches (24 dans la région du Nord, 11 au District National et 8 dans la région de l’Est) qui assurent un cloisonnement entre la production locale et les grandes agglomérations démographiques. Puis, 80% des emplois sont créés dans ce triangle. Dans le cas d’Haïti, ce cloisonnement passe par Ouanaminthe (avec CODEVI) et Port au Prince (avec SONAPI)

Par ailleurs, les statistiques fournies par la Banques centrales de la République voisine et du rapport du CNZFE, montrent la forte concentration des ressources bancaires (dépôts) dans les villes précitées. Ceci explique le rôle récepteur (porte d’entrée) que jouent les Zones franches dans la captation des Investissements Directs Étrangers. Vous le savez déjà, les quatre principales sources de financement bancaires sont souvent (i) les Investissements Directs Étrangers (IDE), (ii) les Transferts Courants Nets (T.C.N), (iii) les Ressources Budgétaires (R.B) et (iv) les flux d’origine touristique. Néanmoins, les I.D.E demeurent la plus importante source de financement bancaire (nous reviendrons sur ce cas ultérieurement). En confirmation, nous reportons la part des ressources bancaires, captées dans les concentrations des zones franches.
Cumul des investissements dans les Zones franches et Captation des ressources (dépôts) par le système bancaireAnnée 2007
Provinces Ressources Captées par les banques(Milliards Pesos dominicains) %
District National 238.29 66.88%
Santo Domingo 16.70 4.69%
Santiago 30.04 8.43%
San Pedro de Macoris 4.52 1.27%
Autres provinces 66.72 18.73%
Totales 356.27 100.00%
Sources des données : bases données de la BCRD – décembre 2007
Rapport de 2007-Conseil National des Zones Franches d’Exportation : CNZFE, page 36

Quant à Haïti, ce mécanisme liant Investissements Étrangers dans les Zones Franches et Financement Bancaire, est quasi inexistant dans l’économie vue l’insuffisance des parcs industriels. Toutefois, on peut imaginer le scénario dans le triangle entre le Département du Nord-Artibonite (Vallée de l’Artibonite), le Département de la Grande Anse/Sud (avec Cayes, Montrouis et Jérémie) et le Centre (avec Hinche).

Au terme des toutes les considérations précitées (qui seront suivies d’une rubrique spéciale intitulée : le décalage économique entre Haïti et la République dominicaine : les leçons à retenir), il importe finalement de mettre en valeur les dotations infrastructurelles qui expliquent les multiplications de zones franches dans l’un des pays et non dans l’autre. Vous le comprenez déjà, ici se joue le destin des zones franches et l’identification de ces dotations portera particulièrement sur (i) le Kw/h en électricité, (ii) les Km2 en béton, (iii) les m3 en eau potable, (iv) le peso/heure ou la Gourdes/heure en employé et (v) les coûts de communication. Sur la base des données collectées, nous essaierons d’explorer le positionnement de chaque partenaire (à suive ……)



Préparé et présenté par : Mercier Joseph, PIERRE
mercierjo@yahoo.fr, mercierjo@hotmail.com,


Rubrique: Economie
Auteur: Mercier Joseph PIERRE | mercierjo@yahoo.fr
Date: 30 Juin 2009
Liste complète des mémoires et travaux de recherche