Le Leader Post-Moderne: absent mais nécessaire en Haiti de Jean-Fritz Guerrier| JobPaw.com

Le Leader Post-Moderne: absent mais nécessaire en Haiti


Cet article dénommé Le Leader Post-Moderne: absent mais nécessaire en Haiti vise à encourager la formation d'une génération de leaders capables de prendre en mains les destinées du pays. Après avoir fait un diagnostic de la situation d'Haïti et défini le concept leadership, je fais des propositions concrètes sur ce que j'appelle la création d'une véritable armée de leaders post-modernes. En fait, les propositions occupent plus de la moitié de l'article. A noter que c'est volontairement que je "féminise" le terme masculin leader dans cet article pour mettre l'accent sur le rôle important des femmes. J'espère qu'il contribuera à soulever les débats sur l'efficacité des leaders haïtiens à tous les niveaux de la société.

Le Leader Post-Moderne: absent, mais nécessaire en Haïti

Publié par Le Nouvelliste


Par Jean-Fritz Guerrier

Beaucoup de réflexions ont été faites sur l'incapacité de notre pays à sortir de sa triple schizophrénie politique, sociale et économique. Sans aucun doute, ces réflexions matérialisées à travers des conférences, séminaires, ouvrages, articles de journaux, émissions radiophoniques et télévisées, etc., ont fait avancer les débats sur ce thème critique inhérent à l'avenir d'Haïti. En dépit de ces multiples discours/écrits, la réalité de la première République Noire du monde continue d'être imprégnée d'incohérence politique, de dégénérescence sociale et d'échecs économiques. La plupart des Haïtiens vivent dans une situation de misère inacceptable et peu sont optimistes sur leur avenir et celui des générations futures. Comme on peut s'y attendre, beaucoup sombrent dans un fatalisme qui leur fait croire que ce malheureux statu quo sera un dénominateur permanent du fonctionnement du pays.

En réalité, le pays n'a jamais su relever les grands défis diplomatiques, politiques, commerciaux et sociaux qui sont l'aune de la mesure du succès ou de l'échec collectif dans un Etat moderne. Nous avons créé une république, mais nous ne nous sommes jamais entendus sur un plan collectif de développement. Nous avons fait un compromis historique entre les couches sociales pour avoir notre indépendance, mais n'avons jamais concilié nos différents par la suite. Nous avons pendant notre premier siècle d'existence entamé des relations diplomatiques, encouragé le Panaméricanisme, mais étions incapables d'éviter l'isolement international. Nous avons créé des écoles, mais n'avons pas universalisé l'éducation. Nous avons introduit le train en Haïti, mais n'avons pas su développer le transport en commun. Nous avons construit des routes mais elles ne relient pas la plupart de nos villes et villages. Nous avons introduit l'électricité, mais la plupart n'y ont pas accès. Nous nous targuons d'être un pays essentiellement agricole, mais un nombre significatif de nos citoyens sont incapables de manger à leur faim. Nous construisons des maisons, mais n'avons pas de plans fonctionnels d'aménagement du territoire et d'occupation du sol. Nous lançons un nombre incalculable de projets, mais ne les finissons presque jamais. En fait, nous sommes devenus un pays d'introduction, sans développement et, surtout pas de conclusion.

Pendant deux siècles, de nombreuses générations ont assisté et/ou participé aux spectacles désolants de l'accession au pouvoir de leaders capables de s'enrichir, mais incapables d'aider la majorité des Haïtiens à assouvir leurs besoins les plus essentiels. L'histoire d'Haïti est un exemple vivant de ce que les anglophones appellent failure of leadership. Généralement, les leaders politiques, économiques, sociaux et religieux d'Haïti n'ont jamais pu relever les défis générationnels auxquels ils ont fait face. L'inefficacité de nos hommes/femmes politiques, entrepreneurs et religieux est manifeste à travers nos rues boueuses, nos bidonvilles, les coupures électriques, l'inadéquation des industries nationales, l'insécurité, le taux d'analphabétisme, l'aide internationale, le nombre de partis politiques, la présence de soldats étrangers, les enfants de rue, le nombre de coups d'état, les pauvres de rue, l'éclatement des institutions et la « stabilité » de l'instabilité politique. A l'exception de quelques politiciens comme Christophe, Salomon, Hyppolite, Saget, Estimé et Magloire, le leadership politique d'Haïti est comparable à un monument hideux érigé au nom de deux siècles de décisions désastreuses.

Le concept du leadership
Une culture de leadership efficace est essentielle à la croissance d'un Etat- nation. Personnellement, je définis le concept du leadership comme un art, une science et un schème de comportements débouchant sur un ensemble de décisions plutôt rationnelles capables d'influencer les autres, leur communiquer une vision, les pousser à atteindre des objectifs spécifiques et améliorer le fonctionnement de la société. En dépit du fait que certaines décisions peuvent être intuitives, il n'y a pas de leadership efficace sans une orientation préférentielle vers la rationalité. Et, il faut surtout avancer que personne ne peut se considérer comme un leader efficace, s'il/elle est incapable d'apporter des solutions aux problèmes de sa société. De plus, un leader est une personne capable d'influencer positivement le comportement des autres, les porter à identifier les défis collectifs et les inciter à les relever de manière efficace. Certainement, le leader efficace ne fait pas appel aux plus bas instincts de ses semblables en les incitant à détruire les acquis sociaux. Il est plutôt un protecteur des acquis sociaux et un constructeur qui encourage les autres à combiner leurs ressources respectives afin de réaliser des projets de développement.

Particularités haïtiennes
Une observation empirique sur la culture de leadership en Haïti débouchera certainement sur un constat alarmant : une tendance à se « déresponsabiliser » au fur et à mesure qu'on gravit les échelons sociaux. La preuve la plus tangible est apportée par ces Directeurs d'entreprises qui, trop souvent au cours de la journée, se promènent dans leur voiture flambant neuve avec de « succulentes » jeunes filles et, au fur et à mesure, deviennent des chauffeurs/danseurs « professionnels » au lieu de s'occuper des affaires de leur organisation. L'ironie est que ces mêmes personnes savaient travailler de façon ardue en tant que comptables, caissiers, responsables des ressources humaines, officiers de crédit, magasiniers, vendeurs, etc. Contrairement à ce que j'ai vécu en travaillant à l'étranger, en Haïti un Directeur d'entreprise est le dernier à se présenter au bureau et le premier à se rendre à la maison. Donc, la tendance générale est d'interpréter la promotion et la prise en charge de plus de responsabilités dans une organisation comme un droit d'accès à plus de temps libre pour vaquer à ses occupations personnelles.

En ma qualité de gestionnaire professionnel, je sais pertinemment que les hauts dirigeants d'une entreprise doivent effectuer des opérations de relations publiques pour le compte de leur organisation. Cependant, je sais aussi faire la différence entre un dîner dans un chic restaurant avec un gros client et une « escapade » au restaurant avec une jeune fille qui prépare son Bac I. Il y a quelques années, j'étais stagiaire dans une entreprise industrielle d'Haïti qui accusait des pertes énormes selon les états de résultats mensuels. J'étais si alarmé que j'ai remis un rapport au Directeur dans lequel j'ai conclu que cette organisation pouvait faire faillite si les décisions managériales appropriées n'étaient pas prises pour changer le cours des choses. A mon grand désarroi, ce Directeur, en cette période de grave crise, nous honorait de sa présence pendant seulement deux heures d'horloge tous les jours; naturellement, il trouvait assez de temps pour embrasser toutes les jeunes employées avant d'entrer dans son bureau. Point n'est besoin de dire que cette entreprise a fait faillite par la suite.

Il est évident qu'en général, ceux qui sont en position de leadership ont tendance à prioriser les procédures organisationnelles au détriment du bon sens managérial. Le recrutement, un facteur critique dans l'avancement de toute société se fait sur une base plus émotionnelle que professionnelle. Au lieu d'employer les personnes les plus qualifiées/compétentes pour un poste, les managers prennent un malin plaisir à recruter leurs petit (e)(s) ami (e)(s), les membres de leur famille ou les « proches de leurs proches. » L'accession au pouvoir devient une finalité et non le début d'une nouvelle ère de progression collective. Qui pis est, une culture d'expansion systématique de l'organisation est quasi absente de la réalité d'Haïti. Nos espaces commerciaux sont remplis d'entreprises - schizophrènes dont les structures et même la façade ne changent pas pendant des dizaines d'années. Personnellement, je connais une librairie d'une grande ville du pays qui n'a pas beaucoup changé depuis plus d'une trentaine d'années. Elle est, malheureusement, l'échantillon représentatif d'un nombre incalculable d'organisations dont les leaders ne font pas de l'expansion une priorité. Ce type de leader/manager préfère les habits élégants au défi de l'analyse des états financiers. Il/elle est un peu fier (ère) de prétendre que ses échecs proviennent uniquement de facteurs externes comme l'ingérence étrangère, la magie, la malchance ou la concurrence déloyale. Il/elle ne sait pas motiver ses employés, n'a pas une vision systématique de développement, fait fi de la formation, a une peur bleue de ses employés à cause de la sorcellerie, ne sait pas communiquer, n'essaie pas de promouvoir les nouveaux systèmes d'information, n'a pas d'éthique professionnelle, utilise les ressources de l'organisation à des fins personnelles et développe l'arrogance de la grenouille de La Fontaine qui voulait se faire plus grosse que le boeuf.

Solutions proposées
A la lumière des arguments ci-dessus, je suis certain que vous êtes en train de vous poser l'une des questions suivantes : Qu'est-ce qu'un leader post-moderne ? Comment former des leaders efficaces capables de diriger avec efficience les différentes entités du pays ? Comment mesurer l'efficacité d'un leader ? Quel lien y a-t-il entre leadership efficace et développement intégral/durable ou expansion organisationnelle ? Personnellement, je préconise la création d'une véritable armée de leaders post-modernes dont le rôle principal sera de combattre/éliminer le sous-développement et créer une nouvelle société ayant des assises modernes et post-industrielles. Il est évident que le progrès collectif est, de façon prééminente, la résultante de l'ensemble des actes posés par les décideurs de tous les secteurs de la vie nationale. En conséquence, le niveau de vie est éminemment déterminé par les décisions bonnes ou mauvaises prises au niveau de la Présidence de la République, la Primature, le Parlement, les universités, la justice, la police, les médias, les institutions financières, le gros/petit commerce, les religions, les écoles, les industries, les professions libérales, les métiers, les organisations à but non lucratif, la famille, etc.

Donc, étant donné que les décisions globales provenant de tous les secteurs nationaux doivent être positives et efficaces, nous avons intérêt à avoir un programme national de « création » de leaders post-modernes. Pour ce faire, je propose l'idée d'un curriculum de leadership couvrant l'école fondamentale, l'école secondaire et le premier cycle universitaire. Je pense que nos enfants doivent apprendre à être des leaders très tôt à l'image de Lin Hao, cet enfant chinois de 9 ans qu'on a vu à côté du grand Basketteur Yao Ming à la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de 2008 à Pékin. Au coeur de ce tremblement de terre mémorable qui a tué 69,000 personnes à Wenchuan County en Chine, il a aidé à sauver des dizaines de camarades de classe dans les décombres de son école. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il a décidé de sauver ses camarades au lieu de se mettre à couvert, il répondu fièrement qu'il a accompli son devoir en qualité de leader de sa classe. Au risque de faire froncer quelques sourcils, je pense qu'une commission composée de techniciens du Ministère de l'Education, de professeurs de l'école secondaire et des universités privées/publiques, devrait réaliser une étude de faisabilité technique, financière, organisationnelle et économique de ce grand projet. Cette commission, avec l'aide du secteur privé et du gouvernement, produirait une réflexion systématique sur le concept du leadership, encouragerait la publication d'ouvrages haïtiens sur ce thème et proposerait aux structures légales/constitutionnelles la meilleure manière d'intégrer certains de ces ouvrages ou autres documents dans le curriculum des institutions éducatives. La mise sur pied de programmes spéciaux sanctionnés par un certificat ou un diplôme en leadership dans certaines écoles supérieures n'est pas à exclure afin de pouvoir toucher ceux qui ne vont plus à l'école ou qui exercent déjà une position de leadership.

En 1995, Goleman développe le concept d'intelligence émotionnelle (QE, quotient émotionnel) qui consiste en la capacité de se connaître, s'auto discipliner ou avoir le contrôle de soi, motiver les autres, comprendre leur sentiment et comportement, et tisser des relations interpersonnelles (1). En effet, développer ces caractéristiques personnelles doit être l'un des objectifs de tout leader post-moderne. Une étude réalisée à travers 3 continents montre que 74% des managers « à succès » ont l'intelligence émotionnelle comme principale caractéristique personnelle. La bonne nouvelle est qu'à la différence de l'intelligence cognitive (QI, quotient intellectuel) qui reste quasiment statique, l'intelligence émotionnelle peut se développer à travers le temps si une personne a la volonté de le faire. Des débats futurs sur ce concept et la manière de développer les caractéristiques y relatives seront nécessaires dans le cadre d'un éventuel programme national de « création » de nouveaux leaders.

Whetten et Cameron font ressortir un sondage organisé aux Etats-Unis auprès de 402 personnes considérées comme des leaders/managers efficaces travaillant dans des secteurs comme l'éducation, les affaires et les gouvernements locaux (2). Le Tableau 1 fait ressortir les 10 caractéristiques les plus courantes d'un leader/manager efficace selon ces participants.
Table 1 Les caractéristiques les plus courantes d'un leader/manager efficace
1. Communication verbale (y compris l'écoute)
2. Gestion du temps et du stress
3. Gestion des décisions individuelles
4. Identification, définition et résolution des problèmes
5. Capacité de motiver et d'influencer les autres
6. Délégation d'autorité
7. Détermination des objectifs et articulation d'une vision
8. Connaissance de soi
9. Mise sur pied d'équipes de travail
10. Gestion des conflits

Donc, le leader est un communicateur qui fait ce qu'il dit et, surtout, dit ce qu'il fait. Il n'est pas un adepte de la communication unidirectionnelle car il sait écouter les autres avant de prendre des décisions. Il sait maximiser l'utilisation du temps, contrôle le stress et s'assure que les décisions individuelles, au sein de son organisation, convergent vers l'atteinte des objectif fixés. Avec l'aide des autres, il identifie, définit et résout les problèmes. Il motive et influence positivement ses semblables, cultive la délégation efficace d'autorité, fixe les objectifs et développe une vision. Il connaît ses propres forces et faiblesses et sait gérer les conflits organisationnels. Naturellement, le leader post-moderne doit apprendre à développer ces habiletés et bien d'autres pour avoir du succès au 21e siècle. Etant donné qu'elles ne sont pas nécessairement des traits de personnalité, ces habiletés peuvent faire partie de celles qui seront inculquées de façon systématique à nos futurs apprenti- leaders. A l'instar d'un footballeur professionnel, le leader post-moderne doit apprendre incessamment de nouvelles techniques et habiletés managériales afin d'augmenter son efficacité.

La leader post-moderne est totalement orientée vers le résultat. En fait, résultat est le maître- mot de la gestion d'une organisation dans toute société post-industrielle. Le concept résultat est un véritable moteur dont le fonctionnement adéquat assure la permanence et le progrès d'une société. La vraie leader sait que, pour être efficace, elle doit obtenir des résultats. Il est évident qu'un leadership efficace, à quelque niveau qu'il soit, présuppose une obligation de résultat. Aucune personne ne peut être considérée comme un leader post-moderne uniquement pour ses beaux yeux, sa voix magnifique, sa richesse, ses études, ses discours ou l'histoire de sa famille. Conséquemment, je pense qu'il faut absolument pouvoir mesurer la performance des leaders/managers haïtiens. Mon opinion est que les organisations doivent fixer des objectifs spécifiques de performance que les leaders/managers seront tenus d'atteindre. Pour les stimuler en ce sens, une partie de leur rémunération ou, à un degré moindre, leur promotion peut dépendre de l'atteinte de ces objectifs. Par exemple, un manager de ventes et un chef de département doivent augmenter le revenu net ou le résultat net de 10% afin de recevoir une prime de 50,000 gourdes à la fin de l'année fiscale. Si la performance d'un Premier Ministre ou d'une équipe gouvernementale se mesure par rapport à la Déclaration de Politique Générale, celle d'un pasteur peut se voir à travers le pourcentage d'augmentation des membres de son assemblée d'une année à l'autre ou les travaux de développement réalisés à travers les ans. Donc, il y a toujours un moyen de mesurer la performance d'un leader. Le nombre d'unités produites, le taux d'absentéisme, le taux de rétention, le pourcentage d'erreurs, le pourcentage d'augmentation de l'avoir des actionnaires, la réduction du taux de chômage, le nombre de lois votées, etc., sont autant d'instruments capables d'être utilisés pour mesurer la performance. Naturellement, le leader post-moderne, en plus d'être un monstre des résultats, utilise aussi des instruments efficaces pour mesurer la performance de ses subalternes.

Deux autres facteurs déterminent la réussite personnelle au 21e siècle : la croissance individuelle et l'expansion organisationnelle. L'auteur et orateur John C. Maxwell avance qu'une organisation ne saurait s'agrandir si les managers ne progressent pas au niveau personnel (3). En effet, le leader post-moderne doit constamment travailler pour devenir une meilleure personne. Il/elle s'occupe de sa santé, lit d'excellents ouvrages régulièrement, participe à des séminaires/conférences, acquiert de nouvelles connaissances/habiletés, développe d'excellentes relations familiales/interpersonnelles, fait croître ses talents, devient un modèle, se porte volontaire pour aider sa communauté et s'autodiscipline pour ne pas courber sous le poids du stress quotidien. Donc, sa croissance personnelle va de pair avec celle de l'organisation. Le philosophe Jim Rohn souligne remarquablement ce concept en disant: "In order to do more, I've got to be more. ''(4) Au risque d'exagérer un peu, je pense qu'on devrait administrer une toute petite dose de mégalomanie aux leaders haïtiens. Il leur faut avoir une volonté inébranlable de construire et réaliser de grandes choses afin d'étonner le monde entier. Car, tout leader de ce nom doit avoir une vision d'expansion pour son organisation. Je ne parle pas de cette expansion folle basée sur une bulle financière comme celle de la compagnie d'assurance AIG qui vient de coûter plus de $180 milliards aux contribuables américains. L'expansion à laquelle je fais allusion doit être le résultat d'un désir profond mais rationnel. L'idée consiste à laisser plus que ce qu'on a reçu aux générations futures. Au niveau étatique, il est évident qu'une Présidente efficace n'essaie jamais de maintenir la République telle qu'elle est, mais se bat pour une croissance économique soutenue et un développement social durable. Naturellement, les leaders post-modernes à tous les niveaux, n'oublient pas les aspects techniques de l'expansion organisationnelle comme la planification stratégique, les études de marché, les besoins en financement, les besoins en ressources humaines, la faisabilité organisationnelle, la faisabilité économique et les aspects légaux. Cependant, retenez que le plus important est d'encourager une culture d'expansion organisationnelle en Haïti.

Dans une organisation, seul le changement ne change pas. Cette phrase passe-partout utilisée dans toutes les écoles d'administration fait ressortir l'importance indéniable de l'innovation dans une société. Il y a quelques années, j'ai demandé à mes étudiants en Sciences Administratives dans une université haïtienne de construire en groupe une page d'accueil Internet d'une entreprise dont ils auront choisi le nom, l'historique, la structure et les états financiers. Il faut avouer que je me suis inspiré d'un devoir que j'ai réalisé dans un cours de Management Information Systems dans le cadre d'un programme de maîtrise en administration aux Etats-Unis. En fait, au cours de la présentation en groupe de ce devoir au moyen d'un projecteur multimédia, j'ai constaté avec fierté que le travail de mes étudiants au programme de licence n'avait rien à envier à celui effectué par des étudiants en maîtrise (venant d'au moins 10 pays différents) d'une grande université nord-américaine. Comme l'a dit Anténor Firmin, l'homme haïtien est capable de « s'élever aux plus hautes régions» (5) de la science et de l'intelligence. Le leader post-moderne sait que, sans innovation, son organisation est appelée à disparaître. Pour cette raison, il crée des conditions permanentes de génération de nouvelles idées. A travers des séances de brainstorming, boites à suggestions, communautés en ligne, équipes diversifiées, sondages, groupes focus, etc., il encourage fortement une culture d'innovation. Personnellement, j'ai toujours conseillé aux leaders/managers de récompenser, à travers des primes ou une augmentation de salaire, les personnes à l'origine d'une nouvelle idée ayant apporté du succès. On peut même demander à ces personnes de diriger les intra-prises nées de leurs idées. Au niveau régional, les collectivités territoriales, les chambres de commerce ou autres associations peuvent organiser des concours d'innovation ou donner des primes pour la créativité. Au niveau national, on peut intégrer une Direction de l'Innovation au Ministère du Commerce, laquelle aurait la responsabilité de donner des primes d'innovation, promouvoir la créativité dans les écoles, les organisations à but lucratif ou non, le service public et les collectivités territoriales.

Publiée en 1995, une étude réalisée par Lawler, Morhman et Ledford démontre que la performance générale et l'efficacité individuelle/organisationnelle étaient au-dessus de la moyenne au sein des entreprises appliquant la stratégie de regroupement en équipes (6). Par exemple, grâce à l'utilisation d'équipes de travail, la productivité moyenne, au sein d'un échantillon d'entreprises, a augmenté de 61% et la profitabilité, de 45%. En Haïti, la leader post-moderne doit apprendre à décourager cette culture d'individualisme qui détruit nos organisations. Elle doit absolument mettre sur pied des équipes de travail permanentes ou temporaires dans le dessein d'identifier les problèmes, apporter des solutions, faire des projections, encourager la créativité, etc. A noter que les équipes de travail efficaces n'ont pas toujours le même leader, valorisent chacun des membres, créent une interdépendance entre eux, cultivent la cohésion et l'encouragement mutuel, et rendent chacun des membres plus productifs. En fait, les équipes efficaces constituent toujours un instrument privilégié capable de faire progresser une organisation.

L'une des clés de la réussite de toute entreprise est la capacité des leaders à connaitre les facteurs qui amènent au succès. A travers ce concept appelé key success factors par les anglophones, les gestionnaires apprennent à maitriser les éléments matériels ou immatériels susceptibles de conduire vers l'échec ou le succès de l'organisation. De plus, les leaders post- modernes connaissent très bien la chaine de valeurs de leurs entreprises. Cette notion implique la logistique interne ou les intrants (achats de matériels ou composantes), les opérations, la production (transformation des matériels en produits), la logistique externe ou les extrants (ventes et distribution des produits) et le service après-vente (7). Notamment dans les entreprises à but lucratif, les leaders doivent mesurer le temps consacré et les coûts ou dépenses effectuées à chacune de ces étapes. Cela leur permettra de réduire les coûts de production et le temps mis par le produit pour arriver sur le marché. Même les organisations à but non lucratif doivent maitriser la structure de leurs coûts afin d'être plus performantes. En conséquence, tout leader voulant être efficace, doit constamment faire, avec l'appui de spécialistes, l'analyse financière de son organisation. L'augmentation de revenus et la réduction rationnelle des coûts doivent être parmi les principaux objectifs à atteindre. Le leader post- moderne doit aussi viser à éradiquer la corruption tant dans le secteur public que dans le secteur privé.

Il est crucial que la nation prenne au sérieux la formation de leaders efficaces capables d'apporter le changement. Lorsque certains se plaignent de l'inefficacité de nos hommes politiques et de nos hommes d'affaires, je leur rappelle toujours qu'ils sont des progénitures de notre pays. Cela signifie que le problème est plus d'ordre collectif qu'individuel. Les conditions éducatives, économiques et sociales nécessaires à une pratique de leadership efficace sont quasiment absentes dans le pays. Il faudra créer ces conditions dans les écoles, les médias, les églises, les partis politiques, les entreprises privées, les entreprises publiques, le parlement, le gouvernement et la Présidence. Sans vouloir étonner quiconque, j'avoue que j'ai foi en ce pays. J'ai eu la chance de rencontrer un nombre impressionnant de compatriotes honnêtes et compétents en Haïti et à l'étranger. J'ai la conviction qu'il y a comme toujours des Haïtiens dans les secteurs privé et public qui travaillent ardûment pour l'avancement du pays. Cependant, je constate qu'il n'y a aucune cohésion dans leurs actions respectives. Pour cette raison, nous devons faire disparaître notre tendance à la suspicion mutuelle afin de combiner nos ressources pour le progrès du pays. Mon principal objectif dans cet article qui est loin d'être exhaustif, est de soulever les débats et sensibiliser mes compatriotes sur l'absence quasi-totale de leaders post -modernes capables de faire avancer notre pays. J'encourage d'autres personnes à intégrer cette discussion et faire des propositions sur la meilleure manière de créer des leaders post -modernes pour diriger de façon efficace tous les secteurs de la vie nationale.


Bibliographie
(1) Goleman, D. (1995) Emotional Intelligence. New York : Bantam.
(2) Whetten, D., Cameron, K. (2002) Developing Management Skills. New Jersey: Pearson Education.
(3) Maxwell, J. (2004) Today Matters. New York : Warner Faith.
(4) Ibid.
(5) Anténor, F. (1885) De l'égalité des races humaines (anthropologie positive). Paris: F. Pichon.
(6) Lawler, E. E., Mohrman, S. A. & Ledford, G. E. (1995). Creating high performance organizations: Practices and results of employee involvement and total quality in Fortune 1000 companies. San Francisco: Jossey-Bass.
(7) Grant, R. (2002) Contemporary Strategy Analysis. Malden: Blackwell Publishers Inc.


Jean-Fritz Guerrier, Financial Advisor, Master's of Business Administration in Finance (MBA), ancien Professeur d'université. Email : guerrierjf@gmail.com

Rubrique: Education
Auteur: Jean-Fritz Guerrier | guerrierjf@gmail.com
Date: 23 Juil 2009
Liste complète des mémoires et travaux de recherche