Etre Medecin et Biophile en Haitide KENSKY PRINCIVIL| JobPaw.com

Etre Medecin et Biophile en Haiti


Est-il possible pour un medecin haitien, de preference ayant etudie en Haiti, d'aimer la vie et de la proteger contre toutes contraintes (personnelles, professionnelles et sociales)dans l'exercice de son metier? Et comment y parvenir?
ETRE MEDECIN ET BIOPHILE EN HAITI

L’idée de publier ce texte a été nourri par l’incident malheureux survenu à Nerette (Petion-Ville, Haiti) le 7 novembre 2008 qui, a coûté la vie à plus de cent jeunes écoliers et écolières haïtiens-nes.

En effet, immédiatement après la tragédie, nous avions vu les médecins grévistes de l’hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (HUEH) sortir d’un bond de leur grève pour aller apporter leur soutient aux victimes.

De téléphone portable en téléphone portable la nouvelle avait vite gagné presque tous les oreilles. En moins de deux heures ces jeunes médecins étaient là comme dans un véritable « pase pran m ma pase rele w ». Rapportant de chez eux tout ce dont ils pourraient avoir besoin comme matériels d’urgence (…) pour venir en aide aux victimes. Avec des moyens vraiment insignifiants ils ont réussis à sauver des vies et soulager beaucoup blessés. Alors, nous nous sommes redis une fois de plus que des formes de solidarité et de complicité positive sont encore et toujours possible chez nous au delà de toutes différences, de toutes appartenances.

L’approche qui sous-tend cette réflexion est d’ordre psychanalytique. Elle marie deux concepts fondamentaux : la médecine et la biophilie. Dans un premier temps elle tentera de les étudier séparément, dans un second temps elle essayera de voir dans quelle mesure les deux concepts pourraient se compléter, s’harmoniser de façon à présenter une approche qui offrirait de meilleures possibilités de bien-être à la collectivité.

La médecine, la biophilie apparaissent donc – et c’est un point de vue presqu’irréfutable – deux choses essentiellement liées á la base. L’une est une science a proprement parlé ; l’autre est une manière d’être, un comportement, une sorte de force intérieure habitant le plus profondément le cœur des hommes. Cependant, même étant liées, aucune relation entre ces deux concepts ou mieux ces deux situations, ces deux statuts n’aura de sens si celle-ci ne cherche pas au prime abord à répondre à certaines interrogations, par exemple : C’est quoi être médecin ? Comment être médecin en Haïti ? Qu’est ce que la biophilie ? Etc.

Dans le contexte de cette réflexion sur l’harmonisation entre la profession de médecin en Haïti et la biophilie, il nous faut d’abord élucider ces interrogations pour l’intérêt de notre propos.
Dans le domaine de la sante, les médecins sont placés au premier rang. C’est le personnel le plus important et, dans certains pays comme le nôtre, le plus rare. Alors que des pays comme la Suisse comptent trois (3) médecins pour mille (1.000) habitants, en Haïti il y a moins d’un (1) médecin pour dix milles (10.000) habitants .

Avant tout, qui est un médecin ? Le médecin est un universitaire qui a une formation théorique doublée d’une formation pratique sanctionnée par de nombreux stages, une année de service social, une année d’internat et peut être pour certains quelques années de résidences ou de spécialisation avant d’être prêt à professer comme tel.

En balayant cet aspect important de la profession, il nous faut aussi évoquer les conditions pratiquement difficiles auxquelles sont confrontés quotidiennement les futurs médecins tout au long du processus de leur formation. Depuis le concours d’admission jusqu’aux difficultés de faire leurs stages et de se trouver un emploie après l’obtention de leur diplôme, en passant par des problèmes de manque de laboratoire efficace, de bibliothèque spécialisée, le vécu du futur médecin ou du médecin est tel qu’il est sujet à développer beaucoup de préjugés, de stéréotypes et de frustrations s’il n’avait pas été initié préalablement à une culture de la biophilie.

Qu’est-ce que donc la biophilie ? En analysant la psychanalyse de Sigmund Freud le psychanalyste et philosophe Allemand Erich Fromm avance la thèse suivante : « l’homme est mû par deux grandes forces : la biophilie (amour de la vie) et la nécrophilie (amour de la mort). » . Cet amour chez l’homme est un pouvoir actif ; un pouvoir qui démantèle les murs séparant l’homme et ses semblables, qui l’unit à l’autrui. Suivant qu’il est habité par des passions rationnelles ou irrationnelles, il peut tendre ou bien vers l’amour, la solidarité, la vérité – favorisant le progrès et le développement (biophilie) ; ou bien vers l’ambition, le narcissisme – étouffant la vie et détruire ses semblables (nécrophilie).

L’amour de la vie ou la biophilie s’exprime dans la conservation de la vie et dans la lutte contre la mort. Ici, l’amour signifie productivité, il est la forme productive de la relation aux autres et avec soi même. Il implique la responsabilité de son engagement, de ses actes ; l’attention (envers les patients par exemple) tel qu’en atteste le serment d’Hippocrate, le respect, et dans le cas précis qui nous concerne de la « vie » ; la reconnaissance et le désir de voir la personne aimée se développer et s’épanouir.

L’homme biophile, le médecin biophile éprouve pour la vie un amour sans réserve. Toutes les manifestations de la vie l’enchantent. Il est capable d’émerveillement : la vie est pour lui une aventure qui le passionne bien davantage que n’importe quelle certitude. Il préfère construire plutôt que de conserver. Il jouit la vie et de toutes ses manifestations plutôt que de se cantonner dans une simple excitation passagère.

Si l’on s’en tient à ce qu’est le biophile en lui-même, on serait porté à croire que tous les médecins sont biophiles ou qu’ils auraient dû être tous des biophiles. A vrai dire ce ne serait pas une vision illusoire de cette noble profession, presqu’une vocation. Travaillant au profit de la vie le médecin est censé respecter, protéger et conserver la vie autant que faire se peut, quelle que soit la circonstance dès que cet effort lui est possible. Dans certains cas, il aura fallu même de sa part un effort de dépassement de soi pour préserver la vie.
Un autre fait sur lequel devons nous insister pour essayer de justifier la nécessite, voire même l’obligation pour le médecin d’être foncièrement biophile est le fameux serment d’Hippocrate qu’il a prononcé. Lequel serment pose non seulement le problème de l’éthique, de la morale mais, celui bien plus sacré des « valeurs humaines ». A ce titre, Dominique Wolton pense que dans la pratique de cette profession le concept de « valeurs humaines » vaut bien mieux que celui de l’ « éthique » .

Aujourd’hui qu’en est-il de la question des valeurs dans notre société ? Au sein de l’environnement où s’exerce cette profession, qu’elle est l’importance accordée à la vie, à l’intégrité et à la dignité des patients ? Qu’en est-il également du principe de l’égalité des chances ? Aujourd’hui nous vivons dans une société qui est étrangère à ses propres fils. On aurait dit qu’une traite déshumanisée s’est opérée chez nous ces deux dernières décennies. Toutes les valeurs qui caractérisaient notre identité comme peuple et notre humanité, telles que : la solidarité fraternelle, le sens patriotique, le sens du bien commun… se sont effritées pour faire place au « chak koukouy klere pou je w », à une démence collective, à l’amour de l’argent et du pouvoir, à la banalisation de la vie, etc.

Ainsi, dans l’exercice de sa profession, le médecin haïtien se trouve dans une situation où il doit : d’une part réaliser sa vie, pourvoir a son bien-être et a celui de sa famille (grâce au fruit de son travail). Ce qui parait souvent une œuvre difficile dans un pays où il n’y a pratiquement pas d’accès au crédit, à un emploi stable, aux assurances, etc. L’individu se trouve donc seul face à son destin. D’autre part, il doit s’affairer à apporter soulagement et/ou guérison à la souffrance de ses éventuels patients (tes). Cependant, ce soulagement et/ou cette guérison nécessite forcement un coût parfois élevé pour une population d’environ 70% de chômeurs. Ceci est d’autant plus grave quand on sait qu’à Port-au-Prince seulement il existe un seul centre hospitalier public pour une population de plus de deux million (2.000.000) d’habitants. Alors on se pose la question suivante : devant cette situation chaotique quelle sera l’attitude du médecin s’engager à servir ou se débrouiller pour réaliser à tout prix sa vie ?

Voici un autre fait sur lequel nous devons aussi réfléchir. Les médecins qui s’opposent à l’avortement ou à l’euthanasie et ceux qui le tolèrent et le pratiquent ne vivent pas pour autant dans deux mondes morales et éthique différentes ; seulement, nous revenons encore avec Fromm et la question des forces positives et des forces négatives ; ils se cantonnent de chaque côté de la route et proposent des solutions différentes aux mêmes situations. Dès lors, la biophilie est relative. Ou bien on est du côté de la vie ou bien on est du côté de la mort. Et c’est à ce stade précis que la question des valeurs, de la morale, de l’éthique et même de la religion se pose en toute logique. Car suivant qu’on est ci ou ça on choisi ceci ou cela au bénéfice ou au détriment des autres, des plus vulnérables.

Aujourd’hui en Haïti, comme dans n’importe quelle autre société d’ailleurs, être médecin-biophile est un choix conscient car, on n’est pas né biophile. La biophilie est une culture. C’est un processus continuel d’apprentissage et de développement. A première vue, le médecin semble être naturellement biophile. Mais, ne nous y trompons pas, ce n’est pas toujours le cas malheureusement. La biophilie est un combat quotidien. Et chez nous, des contraintes de toutes sortes, des préjugés de tous genres auxquels s’ajoute la perversion, le mépris de la vie au profit de l’argent, la course aux intérêts mesquins empêche à la culture biophile de s’implanter inconsciemment dans l’inconscient social haïtien trop pétri de mauvais ressentiments et de frustrations. Et comme pour répéter a nouveau Fromm, « l’homme – ici le médecin – ne peut pas se soustraire aux influences sociales. » . Faisant partie intégrante de la société (malade) il lui sera difficile au médecin haïtien de livrer ce perpétuel combat quotidien en faveur de la vie, de l’amour, du développement et de l’épanouissement d’autrui, bref ! De leur guérison, peu importe ce que cela lui coute a lui puisque la vie, le bien-être doivent primer sur tout.

Tout compte fait, nous devons de nouveau admettre que la biophilie est un choix lucide et bien conscient pour un individu quelconque comme pour un médecin. Mais aussi, elle demeure un perpétuel combat contre la mort. Ce combat, le médecin se doit de le mener inlassablement dans sa clinique privée, dans les hôpitaux où il travaille, dans les universités où il dispense des cours, dans le quartier où il habite jusqu'à l’intérieur de sa propre maison. Cette attitude est fonction non seulement de l’éducation et la formation qu’il a reçue, de l’environnement dans lequel il a évolué et qui a contribué à forger son caractère mais aussi, de ses propres convictions, des sentiments enfouis au plus profond de lui-même, de ses expériences personnelles, etc. Cependant au delà des multiples contraintes évoquées précédemment, nous sommes convaincus qu’il est possible et important d’être un médecin-biophile en Haïti et de préférence dans le contexte actuel. Les médecins grévistes de l’HUEH viennent de nous en donné la démonstration en laissant primer le 7 novembre 2008, la vie au détriment de leurs revendications personnelles, si justes soient-elles a leur avis. Les raisons pour lesquelles ceci (être médecin-biophile) est important sont nombreuses et significatives : ce peuple misérable souffre depuis trop longtemps déjà dans sa chaire comme dans son âme de tous les maux de l’existence, pour continuer à subir l’insouciance et le mépris de ses frères de patrie.


Kensky Princivil
Etudiant finissant en communication sociale FASCH)
Sherley Gustave
Etudiante finissante en medecine a l'UND'H

Rubrique: Divers
Auteur: KENSKY PRINCIVIL | princivilkensky@yahoo.fr
Date: 25 Dec 2008
Liste complète des mémoires et travaux de recherche