La Statistique et l’informatique :de Erno Renoncourt| JobPaw.com

La Statistique et l’informatique :


Un plaidoyer pour une approche plus humble de l'enseignement des maths et de l'informatique dans les classes scientifiques. Il ne faut pas perdre de vuqe que c'est hors de l'école qu'on peut juger de la pertinence et de la avleur d'un enseignement


De l’insécurité au délire du verbe !

Le débat sur les causes de l’insécurité et de la stratégie à mettre en place pour la contrer fait rage dans les plus hautes sphères décisionnelles du pays. Du Chef de l’État à son Premier Ministre, des Ministres aux Sénateurs, des Députés aux Responsables de la Sécurité Publique, des Chefs de Partis aux Chefs d’Entreprise, des Membres de la Société Civile (Minoritaire et/ou Majoritaire) au commun des Haïtiens ; tout ce beau monde s’active, et s’époumone à nous faire partager leur vision et leur lecture de l’insécurité. C’est comme une foire aux beaux parleurs ! Et à entendre ce concert tonitruant, on eût dit qu’ici, l’expression de l’autorité, c’est le délire verbal !

Malgré tout, jusqu’à date, aucun consensus ne semble se dégager sur la façon dont il faut approcher ce phénomène apparemment si simple ( !) aux yeux de certains de nos décideurs. Et l’on peut gager, sans crainte de se tromper, que ce n’est pas par manque de volonté. Alors, où le bât blesse t-il ?

La prise de décision ou l’expression de l’autorité.

D’entrée de jeu, mais sans vouloir jouer les donneurs de leçons, rappelons ce postulat fondamental du management : L’expression de l’autorité, du pouvoir et de la responsabilité, c’est la prise de décision. Mais il convient surtout de rappeler que décider suppose un rapport à l’information, à l’analyse et à l’anticipation. Je ne pousserai pas l’imprudence, voire l’arrogance, jusqu’à dire que nos décideurs politiques n’intègrent pas ces procédures dans leur mode de gestion. Mais il y a lieu de se questionner sur l’efficacité des approches mises en place lorsque les problèmes durent et persistent.

Efficacité ! Voilà, Le mot est lâché. Mais, comment l’atteindre ? Suffit-il d’être brillant pour que nos décisions recèlent la pertinence de l’efficacité ? Et c’est là que nous pêchons toujours par suffisance, car nous oublions qu’il existe peu, et vraiment très peu, de corrélation entre l’efficacité et l’intelligence, l’imagination ou le savoir. Intelligence, imagination et connaissance sont des ressources essentielles, mais non suffisantes pour atteindre l’efficacité. Le nœud de la décision efficace reste l’information ! Mais c’est aussi son aspect le plus controversé, car l’information est une commodité périssable. Si elle est sous-tendue uniquement d’hypothèses non vérifiées, si elle ne s’intègre pas dans divers travaux d’appropriation, de contextualisation, d’élaboration et de mise en forme, si elle n’est pas disponible dans les échéances optimales, elle n’a littéralement pas de sens et ne peut conduire qu’à des prises de décisions inefficaces.

Alors qu’on se le dise : l’efficacité est un critère composite qui dépend d’une structure, des hommes et d’une stratégie. Risquons la modélisation par l’équation : Efficacité = Es (stratégie) + Eo (Structure/organisation) + Eh (Hommes). Commençons par les hommes. Il est admis que l’efficacité d’un homme se mesure à l’aune de sa motivation, de sa culture et de sa compétence. O l’heureuse équation : Eh= MC2 ! Pour la structure, disons que son efficacité est proportionnelle au Système d’Information qui la supporte (Eo = k*[SI]). Le Système d’information, pour sa part, étant un ensemble d’outils et de procédures qui stockent, analysent, traitent et publient des données aux fins de décision. Quant à la stratégie, elle est au carrefour d’un ensemble de points qui peuvent ainsi se décliner : la motivation, un système d’information efficient, un savoir faire en matière de gestion des risques.

Voilà en peu de mots les composantes et outils qui devraient supporter les axes décisionnels de toute institution. Pourtant que de ressources mises en jeu, ces dernières années, dans nos institutions, dans nos administrations, dans nos hôpitaux, dans nos universités. Que de programmes de renforcement de capacités institutionnelles sont en œuvre ça et là, pour des résultats trop souvent médiocres. Mais surtout que d’efforts dispersés.

Trop souvent, nous raisonnons en termes simplistes. Les équations de nos problèmes sont toujours linéaires et n’ont pas plus d’une variable. La complexification a déserté nos habitudes de pensée et de travail (mais y a-t-elle jamais été ?) au point que tout le monde, ici, pense avoir réponse à tout. Et les problèmes perdurent. Et plus rien n’est urgent, car tout est devenu urgent.

L’urgence d’actions et de décisions efficaces nous invite à une complexification de nos habitudes de travail et de pensée. Quand on sait que même un comportement aussi élémentaire que la décision de sourire à quelqu’un peut dépendre de facteurs aussi divers que la quantité de sommeil de la nuit passée, l’heure et la température de la journée, notre sécurité d’emploi, la saison de l’année, nos sentiments du moment à l’égard de notre conjoint, l’apparence de celui qui est en face de nous, alors on ne peut que « Sourire » d’entendre nos décideurs modéliser si simplement et si réductivement la majeure partie de nos problèmes.

Un modèle explicatif pour le kidnapping !

Je disais au début que tout le monde ici a un modèle explicatif pour l’insécurité et son corollaire le plus en vogue, le kidnapping. Ne perdons pas de vue que c’est l’approche que l’on se fait d’un problème qui détermine à moitié la solution et la stratégie à mettre en œuvre pour y remédier. Aussi nous ne pouvons continuer à nous contenter d’hypothèses non vérifiées ou apparentes pour prendre des décisions desquelles dépend la sécurité de millions de gens.

Il ne faut pas croire que c’est mauvais en soi que l’on tente d’expliquer par tel ou tel modèle un problème donné. Ce qui est grave, c’est de l’utiliser comme support de prise de décision sans souci de le soumettre à l’épreuve. Le commun des mortels peut se contenter de le faire et de le communiquer à qui veut l’entendre. S’il s’est trompé dans son approche, le monde ne s’arrêtera pas de tourner pour si peu. Même sa perception des choses n’en pâtira pas. Mais un homme d’état (qu’il soit Chef d’État, Premier Ministre, Ministre, Sénateur, Député et j’en passe) peut-il se payer un tel luxe quand il y va d’enjeux aussi importants que la sécurité d’une ville, d’un pays ?


Les TIC: des outils au service de la prise de décision.

Si l’hypothèse de travail que l’on formule sera utilisée comme critère de décision, il est nécessaire d’utiliser des outils appropriés permettant de la soumettre à l’épreuve selon un intervalle de confiance précisé. Au nombre de ces outils on peut citer les mathématiques, la statistique et l’informatique.

Qu’il serait aisé de vérifier à l’aide de tests statistiques appropriés la dépendance du kidnapping et des variables socio-économiques (modèle si cher aux yeux de certains), si nous avions mis en place des structures adéquates dans les écoles et les universités. Savez-vous que la stratégie du coup d’état de 1973 au Chili a été savamment élaborée dans les départements de sciences humaines et de statistiques des grandes universités américaines ? (Alain Touraine, Vie et Mort du Chili Populaire). Il s’agissait de prévoir la réaction des différentes classes et couches de la population chilienne à une éventuelle destitution de Salvador Allende. Et l’étude a duré à peu près deux ans et demi ! Bien sûr, le sujet a été proposé sous forme d’un projet d’études anodines. Mais il a été financé pat le fameux groupe ITT…Les américains avaient compris depuis la guerre du Vietnam que la puissance de feu n’était pas la seule déterminante dans un conflit. Il faut savoir pour agir et décider efficacement au mieux de ses intérêts.

L’on remarquera qu’ailleurs les décideurs ne s’en remettent pas à leur simple vision et perception des choses. Ils commandent et financent des études et des recherches pour les utiliser en temps et lieux. L’université du Québec à Chicoutimi a procédé à des Etudes statistiques pour expliquer les nombreux homicides recensés à Detroit. Les données sont publiées dans l’ouvrage « Homicide in Detroit : the role of firearms », (Criminology, vol 14, 387-400)

Rappelons encore que tous les services de criminologie des polices des grandes municipalités possèdent des services de statistique et d’analyse de données. La dernière version de la carte de la pauvreté d’Haïti regorge d’informations qu’on pourrait utiliser pour comprendre de nombreux volets de l’insécurité. Mais nous n’en avons cure. Nos dirigeants les utilisent seulement à des fins de demande et de justification d’aide.

De la méthode avant toute chose.

Nous devons apprendre à travailler autrement, en utilisant les outils d’aide à la décision que sont les statistiques et l’informatique. Pourquoi la PNH et les commissions de sécurité au parlement ne se dotent t-elles pas d’un service de statistiques et d’analyse de données ? Non pas d’un service qui se contenterait de chiffrer le nombre d’arrestations pour conduite sans permis et autres délits mineurs. Mais d’un service équipé de techniciens en Informatique et en analyse de données, de chercheurs en sciences humaines qui tenteraient de construire, dans l’ombre, des modèles pour expliquer les cas d’enlèvement, la fréquence des accidents à telle tranche d’heure sur tel tronçon de route, le nombre de cas d’enlèvement à proximité de tel espace plutôt que de tel autre ; la fréquence des cas d’enlèvement à telle tranche d’heure dans tel circuit embouteillé ou pas.

La question est d’acuité, messieurs ! Ailleurs, aux USA, en France, en Chine on modélise le chaos et l’on se dit que les battements d’aile d’un papillon dans le ciel de Cuba peuvent provoquer un tsunami au Japon, et l’on prédicte l’improbable. Les banques, les Compagnies d’assurance, les Fondations financent de telles études. Car elles savent que « dans le petit nombre de choses que nous pouvons connaître avec certitude (…) les principaux moyens pour parvenir à la vérité se fondent sur les probabilités ». (Pierre Simon de Laplace).

Je ne suis pas en train d’ériger les mathématiques et la statistique en modèle infaillible d’accès à la vérité (lisez l’article « Résultats du Bac : le piège des statistiques » publié par le Matin dans son édition du 14 au 15 août 2006), mais seulement de dire que tout ce que nous pouvons faire en matière de prévisions de comportements imprévisibles repose sur la théorie mathématique des probabilités et son rejeton moderne, la statistique. Ce sont les seules voies que nous pouvons emprunter pour donner une apparence de prévisibilité à notre monde imprévisible.

Je m’en voudrai de conclure sans rappeler deux petites anecdotes sur les sondages statistiques, l’une datant de 1936 et l’autre de 2006. Elles n’ont pas fini de me faire sourire. Lors de l'élection présidentielle américaine de 1936, la revue «Literacy Digest» a procédé à un sondage à partir des immatriculations et des listes des bottins téléphoniques. Elle a envoyé 10 millions de bulletins et a reçu 2,3 millions de réponses. Ses prédictions : le candidat Landon : 55% des voix ; le candidat Roosevelt : 41% des voix. La maison Gallup a prélevé un échantillon «aléatoire» de 6 500 personnes et a obtenu comme prédictions : Landon : 35% et Roosevelt : 64%. Les résultats de l'élection : Landon 37% et Roosevelt 61%. La revue Literacy Digest a abandonné sa méthode d’échantillonnage. Et plus personne ne s’en est servie depuis. Et fait remarquable, elle n’a cessé de publier depuis tous les sondages de la maison Gallup. Cette même maison Gallup (devenue Institut Gallup) donnait René Préval comme vainqueur des élections présidentielles de 2006, bien des voix s’étaient élevées pour crier au scandale. L’une de ces voix avait pris la forme d’un sulfureux article publié par Le Nouvelliste dénonçant avec virulence l’improbabilité d’un tel événement. Cette voix était (rien d’ironique !) celle de l’actuelle Ministre de la Condition Féminine et aux Droits de la Femme.

Tout cela pour dire que le réel, qu’il soit probable improbable, ne s’accommode pas de nos sensibilités. Il ne vit pas de nos convictions, de nos intérêts, de nos passions. Il ne souffre pas de nos douleurs, ne se réjouit pas de nos joies. «Un seul rayon de sa sobre raison suffit pour fondre les fleurs de givre de la fantaisie féerique ». (Samuel Rogers, in Plaisirs de la mémoire)

Erno Renoncourt

Rubrique: TIC
Auteur: Erno Renoncourt | erenoncourt@accesshaiti.com
Date: 17 Dec 2008
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